Ou comment le pape sauve la République antichrétienne
Par François Boivin / 15 juin 2019
Un argument fréquemment opposé aux catholiques favorables à la restauration d’une monarchie chrétienne et légitime en France a trait au Ralliement à la République que l’Église aurait opéré voici plus d’un siècle, par la volonté du pape Léon XIII. Il est utile d’approfondir cette question, et nous recommandons pour cela l’excellent ouvrage Le Ralliement de Léon XIII, l’échec d’un projet pastoral (traduction française aux éditions du Cerf, Paris 2016). L’essentiel de cet article s’appuie sur ce livre du professeur Roberto de Mattéi, grand universitaire italien qui s’est notamment appuyé pour son étude sur les Mémoires, non publiées à ce jour, du cardinal Aloisi Masella, nonce puis membre éminent de la Curie romaine et témoin privilégié de ces événements. Ainsi que l’observe Roberto de Mattéi :
de simple événement historique, le Ralliement devint (…) paradigme pastoral et mode de gouvernement ecclésiastique aux profondes conséquences.
Nous subissons encore les effets délétères de cette « pastorale ».
Quelques extraits :
"(...) la position de Léon XIII est pourtant incomplète. Il est vrai, qu’aucune forme constitutionnelle, monarchique, aristocratique, démocratique [n]’est, en soi, contraire à la loi divine ; mais cela ne signifie pas qu’un catholique puisse mettre sur le même plan les trois institutions. La doctrine de l’Église n’enseigne pas l’équivalence des formes institutionnelles, mais la licéité de chacune d’entre elles, à des conditions déterminées. Aucun régime n’est, en lui-même, inacceptable, s’il respecte la loi naturelle et divine, mais le fait que l’Église catholique admette toute forme de gouvernement ne signifie pas qu’elle les place sur le même plan (…) La forme la plus excellente est la monarchie qui, si elle ne peut toujours être appliquée concrètement, doit être malgré tout aimée et désirée comme la meilleure."
Roberto de Mattéi, Le Ralliement, p. 154-155.
Saint Thomas d’Aquin, dans le De Regimine Principum soutient lui aussi que la monarchie est préférable et le rappelle dans la Somme théologique (« Communément, le gouvernement naturel est celui d’un seul »).
Pie VI, dans une allocution du 17 juin 1793, avait lui aussi déclaré que la Révolution française avait aboli « la forme de gouvernement monarchique qui est la meilleure ».
En outre, et l’abbé Maignen le soulignera, accepter les « formes saines et régulières du pouvoir (monarchie, aristocratie, démocratie) » ne signifie pas, ce qui serait lui faire injure, que l’Église soit disposée à « bénir les formes perverties du pouvoir : tyrannie, oligarchie, démagogie » (Roberto de Mattéi, Le Ralliement, p.155).
Le pape confirma encore la portée de son action dans une lettre au président Émile Loubet (23 mars 1900) pour déplorer le projet du ministre Waldeck-Rousseau contre la liberté de l’enseignement :
Nous avons soigneusement inculqué aux catholiques de France, par des actes publics et réitérés, non seulement de ne pas combattre la forme de gouvernement établie dans leur pays, mais encore de lui prêter franche et loyale adhésion. (E. Barbier, Cas de conscience. Les catholiques français et la République, Lethieulleux, Paris, 1906, II, p. 341, cité par Roberto de Mattéi, Le Ralliement, p. 158).
Léon XIII répondait aux objections en distinguant les hommes et les institutions. Pour lui une monarchie pouvait être antichrétienne et une république soumise aux préceptes de l’Église.
Paul de Cassagnac n’eut pas de mal à lui répondre que :
la constitution et les lois et institutions athées sont liées de telle façon que la casuistique la mieux affilée ne saurait passer la lame entre elles de façon à les diviser. Et qu’on le veuille ou non, se rallier à la forme c’est se rallier au fond ; accepter le pouvoir légal c’est accepter ses lois (Mémoires du cardinal Domenico Ferrata, Rome, 1920, II, p. 215, cité par Roberto de Mattéi, Le Ralliement, p. 159).
Historiquement enfin, la République en France demeurait marquée du sceau de ses origines : jacobine, centralisée, elle avait pour acte fondateur l’assassinat du roi Louis XVI par lequel on avait voulu toucher le représentant de la royauté catholique.
Et Roberto de Mattéi d’insister sur cette évidence rétrospective admise par les républicains eux-mêmes :
La monarchie représentait la conception chrétienne du pouvoir, selon lequel le roi était le lieutenant, le vicaire du vrai roi de France qui est dans les Cieux ; la République était l’élévation de la volonté du peuple au critère suprême de la vie politique et sociale. Il y avait d’une part la France de Saint Louis et de Sainte Jeanne d’Arc, d’autre part celle de Rousseau et de Robespierre (Roberto de Mattéi, Le Ralliement, p. 160).
La maxime évangélique « Rendez à Dieu ce qui est à Dieu et à César ce qui est à César », que rappelle Léon XIII dans son encyclique, ne signifie pas que l’Église doive délaisser les questions politiques, sociales ou morales de l’espace public. Elle est gardienne en effet de la loi naturelle et divine que l’État se doit de respecter :
La raison humaine a le pouvoir de découvrir en elle-même et de comprendre par ses propres forces les vérités de la loi naturelle et parmi ces vérités de s’élever jusqu’à une vraie connaissance d’un Dieu personnel. Toutefois le Concile Vatican I a défini que, même pour ces vérités de raison, la Révélation était moralement nécessaire… ainsi que l’enseignement authentique par l’Église. La Révélation confirme la loi naturelle. Elle la dépasse aussi, l’agrandit et l’approfondit (MgrGuerry, La doctrine sociale de l’Église, p. 12).
« Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes »(Actes 5, 29.) et la résistance aux lois injustes est légitime, comme l’enseignait Saint Thomas d’Aquin. La loi positive elle-même doit respecter la loi naturelle sous peine d’iniquité.