Source : Introduction à la Légitimité, chapitre V, Autorité et pouvoir chez les modernes, p.78 sv, Union des cercles légitimistes de France, éditions Vive le Roy, 2021
Perspective historique et réflexions
Le deuxième concile du Vatican se sépare d'avec la Tradition catholique
Le concile clos en 1965 se sépare d’avec la tradition et propose une apostasie en se convertissant à l’humanisme moderne. Il proclame une manière de ralliement de l’Église au monde. Mendiant les faveurs de la religion moderne et anti-Christ de l’homme-dieu, dans son discours de clôture du concile (8 décembre 1965), le pape Paul VI fait cette incroyable déclaration :
"La religion du Dieu qui s’est fait homme s’est rencontrée avec la religion (car c’en est une) de l’homme qui se fait Dieu. Qu’est-il arrivé ? Un choc, une lutte, un anathème ? Cela pouvait arriver ; mais cela n’a pas eu lieu. La vieille histoire du bon Samaritain a été le modèle et la règle de la spiritualité du concile. Une sympathie sans bornes pour les hommes l’a envahi tout entier. La découverte et l’étude des besoins humains (et ils sont d’autant plus grands que le fils de la terre se fait plus grand), a absorbé l’attention de notre Synode. Reconnaissez-lui au moins ce mérite, vous, humanistes modernes, qui renoncez à la transcendance des choses suprêmes, et sachez reconnaître notre nouvel humanisme : nous aussi, nous plus que quiconque, nous avons le culte de l’homme."
À la suite de cette révolution, toute trace de tradition est impitoyablement pourchassée avec le prétexte — ordinaire aux hérésies —d’un retour aux sources. Parallèlement, l’Église renonce en partie au modèle naturel du gouvernement par l’autorité pour adopter celui de ses ennemis : le modèle des sociétés de pensée. Ainsi les évêques perdent-ils leur autorité au profit de commissions démocratiques : par le haut (collégialité de la Conférence épiscopale), et par le bas (conseils diocésains). Le résultat est immédiat : l’apostasie des catholiques est massive (cf Guillaume CUCHET, sociologue, Comment notre monde a cessé d'être chrétien ?, Seuil, Paris, 2018), que ceux-ci soient laïcs ou clercs. Ce sont des faits : le nombre des baptêmes s’effondre, les vocations se comptent sur les doigts de la main, les catholiques sont devenus ultra-minoritaires, la foi disparaît partout.
Les prémisses
Une séparation plus ancienne est la séparation d’avec l’autorité temporelle de droit divin : 1892, le pape Léon XIII désire faire cesser les persécutions religieuses de la république athée. Outrepassant les limites imparties à son autorité spirituelle, dans son encyclique Au milieu des sollicitudes, il exhorte les catholiques au ralliement à la République. De manière tragique, ce pape ne comprend pas que le régime républicain est, de par sa nature, opposé à l’autorité politique, et consacre la disparition de cette dernière. Le résultat de ce libéralisme pratique ne se fait pas attendre, car les persécutions, loin de cesser, reprennent, plus violentes encore. C’est un fait qu’en ce début de XXIe siècle, il n’existe quasiment plus d’États catholiques. Et c’est logique, car si le pouvoir des ré-publiques vient du consensus majoritaire, pourquoi s’embarrasser de la transcendance d’un Dieu Créateur ? L’apostasie des nations était inéluctable.
La modernité avance toujours par bonds et interdit tout retour à l’état antérieur, car la frange libérale érige comme un dogme la dernière position en sa faveur. – Chacun a pu observer après le concile Vatican II, l’acharnement avec lequel les réfractaires traditionalistes, fidèles à l’Église de toujours, ont été persécutés. – De même, depuis le Ralliement, il est quasiment impossible de parler de politique autrement que dans le cadre de la république, et le catéchisme a fait du vote un devoir. Faisant une croix sur deux millénaires de civilisation chrétienne, une foule de clercs et laïcs vous assènent doctement que l’Église n’est inféodée à aucun régime politique, et réduisent le tout de la politique chrétienne à la doctrine sociale de l’Église.
Remarquons bien que l’acte fondateur de la doctrine sociale de l’Église, l’encyclique Rerum Novarum « Des choses nouvelles » (1891) de Léon XIII, constitue en soi une petite révolution, car ayant renoncé au soutien de l’autorité politique, dorénavant l’Église se met elle-même à « faire du social » : – Or, ce travail incombe précisément à l’autorité politique qui doit tout mettre en œuvre pour préserver la justice. Du reste, l’encyclique Rerum Novarum s’inspire largement des propositions des légitimistes du XIXe siècle en réponse à la profonde misère du monde ouvrier que la révolution bourgeoise avait générée (on pense à l’engagement du comte de Chambord, d’Albert de Mun, de René de la Tour du Pin...) – La doctrine sociale de l’Église ne peut donc rester qu’un vœu pieux si aucune institution politique n’existe pour l’appliquer et la maintenir. Mais là réside justement la question politique qu’il est défendu d’aborder.
Quelles que soient les intentions de leurs promoteurs, les politiques du ralliement à la république en 1892, puis du ralliement au monde en 1965, se sont montrées expérimentalement suicidaires. Elles n’ont apporté qu’apostasies, malheurs des peuples et affaiblissement de la civilisation occidentale. Les inductions d’Hannah Arendt sur ce dernier point sont donc totalement vérifiées. Or, le Christ lui-même nous a donné un critère infaillible pour juger d’un acte ou d’une politique : « Vous jugerez l’arbre à ses fruits ».
Notre Seigneur dans saint Matthieu, chapitre septième, versets quinze et suivants :
"Gardez-vous des faux prophètes. Ils viennent à vous en vêtements de brebis, mais au dedans ce sont des loups ravisseurs. Vous les reconnaîtrez à leurs fruits. Cueille-t-on des raisins sur des épines, ou des figues sur des chardons ? Tout bon arbre porte de bons fruits, mais le mauvais arbre porte de mauvais fruits. Un bon arbre ne peut porter de mauvais fruits, ni un mauvais arbre porter de bons fruits. Tout arbre qui ne porte pas de bons fruits est coupé et jeté au feu. C’est donc à leurs fruits que vous les reconnaîtrez."
Dès lors, combien apparaît-il vain de chercher une « bonne » république catholique, cela n’a jamais existé. Les rares tentatives, que sont la république de Garcia Moréno et la « Révolution nationale » de Salazar — dont le seul intitulé proclame l’antinomie par rapport au régime traditionnel — n’ont jamais permis la pérennité du bien commun. Même l’antique démocratie athénienne, bien qu’hétéronome, se dressait contre l’autorité avec sa devise égalitaire : – Isonomia, ou égalité devant la loi. – Isegoria, ou égalité de la parole (même poids de voix). – Isokrateïa, ou égalité des pouvoirs. Continuer à prétendre le contraire, continuer à dire que c’est théoriquement possible parce qu’un pape (Léon XIII) l’a affirmé hors de son domaine de compétences, n’est-ce pas « bâtir dans les nuées » tant la réalité prouve le contraire ?
Dans la pensée traditionnelle, le Créateur manifeste Sa volonté par deux sources : la loi naturelle et la loi divine (ou loi révélée). La cité politique relève principalement de la première, et l’Église davantage de la seconde. Si, pour respecter cette distinction, l’Église en tant qu’institution, ne saurait privilégier l’un ou l’autre régime que peut revêtir la société politique, en revanche il est de la compétence des laïcs, à la lumière du droit naturel et du principe de réalité, de tirer des leçons de l’expérience.
Perspectives
Comment rétablir la civilisation dans un climat si hostile ?
L’effort doit porter conjointement sur la religion, la tradition et l’autorité. Quand on a des ennemis à combattre, l’empereur Marc-Aurèle (121-180) conseille : "Le meilleur moyen de se défendre contre eux, c’est de ne pas leur ressembler".
Si l’on ne peut user des méthodes de manipulation de l’opinion des sociétés de pensée sous peine de passer soi-même à la modernité, si l’on ne peut cautionner le système des partis et de l’élection sans perdre son âme en essayant de séduire l’opinion de la majorité, alors il reste à maintenir et à développer l’autorité traditionnelle partout où elle a résisté (familles, entreprises, éducation, associations...) Cette action, pour austère et pour peu spectaculaire qu’elle paraît, s’avère incontournable. Car pour désirer l’autorité, l’homme a besoin d’en avoir ressenti la bienfaisance dès l’enfance. Il a besoin d’en avoir observé des modèles. Dans l’effondrement général de nos sociétés, en un siècle où l’égoïsme et la lâcheté sont devenus la règle, les figures autoritaires apparaîtront comme autant de sources de liberté, et s’allieront les intelligences et les cœurs.
Nous disposons pour cela de moyens surnaturels et naturels :
– Implorer l’aide, la grâce de la source de toute autorité, « omnia instaurare in Christo ». – Identifier le bien à atteindre, appliquer son intelligence à l’étude de ce bien et de ce qui le conditionne (la loi divine, la loi naturelle et, en particulier, les lois de l’institution pour ce qui concerne l’autorité politique). – Appliquer sa volonté à se réformer soi-même pour mener une vie conforme à ce bien. – Réformer ensuite son entourage partout où on le peut en donnant l’exemple d’une bonne autorité. Nombre de ces points correspondent précisément au programme politique du Ta Hio, cette « Grande étude » transmise par Confucius voici 2500 ans pour restaurer une cité.