Le document le plus étonnant, cette semaine, dans la presse hebdomadaire, c’est sans doute une lettre que publie Rivarol, signée de Mgr Marcel Lefebvre, supérieur général des Pères du Saint-Esprit à Rome, elle est adressée à un collaborateur du journal qui avait dénoncé dans un article “la situation actuelle de l’Église”. » C’est en ces termes que le rédacteur, chargé dans Le Monde de la revue de presse hebdomadaire, commençait sa chronique dans le numéro daté des 14 et 15 janvier.
Avouerai-je que c’est son étonnement qui m’étonne ? Car qu’est-il dit, dans cette lettre - dont il reproduit d’ailleurs cet extrait - qui pût à ce point le surprendre? Vous devinez que je suis d'autant, sinon plus que vous, épouvanté par les progrès du mal dans l'Église. Les forces sataniques sont puissantes. Le communisme peut se réjouir. Votre article est parfaitement exact. Si les faits n'en sont pas encore au stade que vous décrivez, l'esprit de démocratisation s'y trouve et vous avez mis le doigt sur la plaie.
Avec ces principes, on fait éclater l'Église par le dedans, car sa constitution divine était tout entière basée sur l'autorité divine et l'autorité de personnes divinement mandatées. Introduire la démocratie dans cette constitution c’est provoquer la dialectique interne, qui est le ver rongeur. On aperçoit déjà les oppositions partout, dans les paroisses, les diocèses, les congrégations religieuses; rien n'est exempt. C'est un virus galopant! Le Saint-Père n’a-t-il pas à maintes reprises mis en garde sur l’interprétation erronée de certaines affirmations du Concile concernant la dignité de la personne humaine, interprétation qui conduirait au rejet de l’autorité et au mépris de l’obéissance ? La plus récente de ces admonestations date de quelques jours à peine. Recevant les représentants des divers organismes ecclésiastiques venus lui offrir les cierges bénis pour la fête de la Chandeleur, le pape a exalté « la vertu d’obéissance » et prononcé la phrase que nous avons placée en exergue. Les faits qui manifestent les conséquences de ces fausses interprétations du Concile sont, hélas, si nombreux, qu’ils justifient amplement les craintes de notre saint Père le pape. Ne sommes-nous pas bouleversés par ces révoltes ouvertes de certains groupes d’Action catholique, contre leurs évêques, de séminaristes contre leurs supérieurs, de prêtres, de religieux, de religieuses qui manifestent une attitude méprisante vis-à-vis de l’autorité et en rendent l’exercice impossible ? La dignité humaine, l’exaltation de la conscience personnelle devenue la règle suprême de la moralité, les charismes personnels sont les prétextes pour réduire l’autorité à un principe d’unité sans aucun pouvoir. Comment ne pas rapprocher cette fermentation, prélude de rébellion, du libre examen qui a été la source des grandes calamités des derniers siècles ? Il nous semble plus opportun que jamais de rétablir la vraie notion de l’autorité, et, à cet effet, d’en montrer les bienfaits voulus par la Providence dans les deux sociétés naturelles de droit divin qui ont ici-bas, sur chaque individu, une influence primordiale : la famille et la société civile.
Nature de l’autorité
Il est bon de rappeler que l’autorité est la cause formelle de la société. Il est donc de sa nature de diriger et d’orienter tout ce qui concourt à la fin de la société, soit le bien commun à tous les membres. Les membres d’une société étant des êtres intelligents, l’autorité les conduira vers leur fin commune par des directives ou des lois, veillera à leur application et sanctionnera les opposants. Le sujet de l’autorité pourra être désigné de diverses manières, mais le pouvoir qu’aura ce sujet, c’est-à-dire la faculté de diriger d’autres êtres humains, ne peut être qu’une participation à l’autorité de Dieu. Les sociétés étant multiples, les règlements concernant l’exercice de l’autorité pourront être très divers, ils n’empêcheront jamais l’autorité d’être d’origine divine. « Il n’y a pas de pouvoir qui ne vienne de Dieu. » «Tu n’aurais pas de pouvoir sur moi s’il ne tétait donné d En-Haut (Rm 13,1 ; Jn 19,1.). »
Jolivet décrit ainsi la source première de l’autorité : Dieu seul a le droit absolu de commander parce qu’un tel droit quiconsiste à obliger les volontés ne peut appartenir qu'à celui qui donneI être et la vie. Aussi disions-nous que Dieu est le "droit vivant” parcequ'il est le principe premier de tout ce qui est. Il suit de là que toute autorité, en quelque société que ce soit, ne peut s'exercer qu'au titre d'unedélégation de Dieu. Tout chef investi d'un pouvoir légitime est le représentant de Dieu. Traité de philosophie, t. iv, 384. L’autorité ayant pour but le bien commun des membres et les membres eux-mêmes désirant l’obtention de ce bien de leur propre détermination, il ne devrait jamais y avoir de heurt entre l’autorité et les membres qui cherchent à atteindre le même but. Il ne devrait pas y avoir en soi d’opposition entre le chef et le sujet, entre l’autorité et la liberté.
C’est parce que l’autorité ne recherche plus le vrai bien commun ou que le sujet fait passer son bien personnel avant le vrai bien commun qu’il y a heurt et mésentente. À moins d’évidence contraire, l’autorité légitime et prudente est juge du bien commun et les membres doivent se soumettre a priori à ce jugement. Faire passer le jugement personnel avant celui de l’autorité légitime entraîne à terme la destruction de la société. Se soumettre aux directives de l’autorité légitime, c’est exercer la vertu d’obéissance dont Notre-Seigneur nous a montré un exemple émouvant en sacrifiant jusqu’à sa vie par obéissance, obediens usque ad mortem (Ph 2,8). [Saint Pie X écrit, Lettre Notre charge apostolique, 25 août 1910:] « Est-ce que toute société de créatures indépendantes et inégales n'a pas besoin d’une autorité qui dirige leur activité vers le bien commun et qui impose sa loi ?
Peut-on dire avec une ombre de raison qu’il y a incompatibilité entre l'autorité et la liberté, à moins de se tromper lourdement sur le concept de la liberté ? Peut-on enseigner que l’obéissance est contraire à la dignité de la personne humaine et que l’idéal serait de la remplacer par «l'autorité consentie» ? Est-ce que l'apôtre Paul n’avait pas en vue la société humaine à toutes ses étapes possibles quand il prescrivait aux fidèles d’être soumis à toute autorité ? Est-ce que l'état religieux fondé sur l’obéissance serait contraire à l’idéal de la nature humaine ? Est-ce que les saints, qui ont été les plus obéissants des hommes, étaient des esclaves et des dégénérés ? »
Bienfait de l'autorité dans la société familiale
S’il est une période de la vie humaine au cours de laquelle l’autorité joue un rôle considérable, c’est bien celle qui va de la naissanceà l’âge de la majorité. C’est une merveilleuse institution divine quecelle de la famille au sein de laquelle l’homme reçoit l’existence, maisune existence tellement limitée qu’il lui faudra d’abord passer par unelongue période d’éducation, dispensée d’abord par les parents, puis par ceux qui y concourent avec les parents.
L’enfant reçoit tout de son père et de sa mère : nourriture corporelle,intellectuelle, religieuse, éducation morale et sociale. Ils se font aiderde maîtres, qui, dans l’esprit des enfants, partagent l’autorité des parents ; la science qu’acquiert l’enfant sera beaucoup plus une scienceapprise, reçue, acceptée qu’une science acquise par l’intelligence, l’évidence des jugements et des raisonnements.
Le jeune étudiant croit enses parents, en ses maîtres, en ses livres, et ainsi ses connaissancess’étendent, se multiplient avec une certitude parfaitement légitime. Sascience proprement dite, celle qui peut rendre compte de son savoir,est bien limitée. Si l’on songe à l’ensemble des enfants, de la jeunesse,dans l’humanité d’aujourd’hui et d’hier, on constate que la transmission des connaissances fait appel beaucoup plus à l’autorité qui transmet qu’à l’évidence personnelle de la science acquise. Assurément, s’il s’agit d’études supérieures, la jeunesse acquiertun savoir plus personnel et s’efforce de connaître des disciplines étudiées à la manière dont leurs maîtres eux-mêmes les connaissent.Mais l’abondance des connaissances requises aujourd’hui permet-elle à l’étudiant d’aller jusqu’au bout des preuves et des expériences ?
D’ailleurs des matières comme l’histoire, la géographie, l’archéologie,les arts, ne peuvent, en vérité, que reposer sur la foi dans les maîtreset dans les livres. Et quand il s’agit des connaissances religieuses, dela pratique de la religion, de l’exercice de la morale conforme à la re¬ligion, aux traditions, aux coutumes, c’est encore plus vrai que pourd’autres sciences ! Les hommes, généralement, vivent selon la religionqu’ils ont reçue des parents, surtout s’il s’agit d’une religion révélée,fondée sur l’autorité. La conversion à une autre croyance trouve unénorme obstacle dans la rupture avec la religion ancestrale. L’être humain demeure toujours sensible au rappel de la religion maternelle.
Combien cette éducation dispensée par la famille, et celle apportéepar l’ensemble des maîtres qui la complètent ont une influence considérable dans la vie humaine ! Rien ne persévère autant dans l’individuque ses traditions familiales. C’est vrai sur toute la surface du globe. Cette extraordinaire influence de la famille et du milieu éducateur est providentielle, voulue par Dieu. Il est normal que les enfants gardent la religion de leurs parents, de même qu’il est normal que, le chef de famille se convertissant, toute sa famille suive cet exemple. De ce fait il y a de nombreuses illustrations dans l’Évangile et dans les Actes des Apôtres. Dieu a voulu que ses bienfaits se transmettent aux hommes par la famille d abord. C’est pourquoi il a accordé au père cette autorité qui lui confère un immense pouvoir sur la société familiale, sur son épouse, sur ses enfants. Plus les biens à transmettre sont grands et plus l’autorité est grande. L’enfant naît dans une telle faiblesse, il est si imparfait, on pourrait dire si incomplet, qu’on peut juger de la nécessité absolue de la permanence du foyer, de son indissolubilité.
Vouloir exalter la personnalité et la conscience de l’enfant au détriment de l’autorité, c’est faire le malheur des enfants, les pousser au mépris des parents, à la révolte, alors que la longévité est promise à ceux qui honorent leurs géniteurs. Certes, saint Paul demande aux pères de ne pas provoquer la colère de leur fils, mais, ajoute-t-il : « Éduquez-les dans la discipline et la crainte du Seigneur . » On s’écarte de la voie établie par Dieu en prétendant que seule la vérité, par sa propre force et sa propre lumière, doit indiquer aux hommes la vraie religion. En réalité, Dieu a prévu la transmission de la religion par les parents et par des témoins dignes de la confiance de ceux qui les écoutent. S’il fallait attendre d’avoir l’intelligence de la vérité religieuse pour croire et se convertir, il n’y aurait que bien peu de chrétiens à l’heure actuelle. On croit aux vérités religieuses parce que ses témoins sont dignes qu’on se fie à eux, au constat de leur sainteté, de leur désintéressement, de leur charité. On croit à la religion véritable parce qu’elle comble les désirs profonds d’une âme humaine droite : en particulier en lui offrant une Mère céleste, Marie ; un Père visible, le pape ; une nourriture divine, l’eucharistie.
Notre-Seigneur n’a pas demandé à ceux qu’il a convertis s’ils comprenaient, mais s’ils croyaient. Ce n’est qu'ensuite que la foi vive donne l’intelligence, comme le dit saint Augustin. Il est évident, dans le cas de la société familiale prévue par la charité de Dieu pour la première période de toute vie humaine, que les bienfaits de l’autorité sont immenses, indispensables et constituent la voie la plus sûre pour une éducation complète qui prépare à la vie adulte dans la société et dans l’Église.
Il va de soi, en écrivant cela, que nous n’oublions pas l’aide considérable apportée par l’Église à la famille, aide indispensable à la vie chrétienne et à la perfection humaine. Mais vient le moment où la famille va s’effacer et laissera le relais aux deux sociétés, la société civile et l’Église, car il est évident que, même éduqué, l’être humain est incapable de poursuivre sa vocation sans l’aide de l’une ou de l’autre.
Bienfait de l'autorité dans la société civile
Peut-on, en effet, affirmer que l’homme, arrivé à sa majorité, n’a plus besoin de secours pour continuer à progresser dans ses connaissances, se maintenir dans la vertu et accomplir son rôle dans la société ? Si la famille a achevé sa tâche essentielle, il est clair que la société civile et l’Église demeurent les moyens normaux pour lui donner, celle-ci les moyens spirituels, celle-là le milieu social favorable à une vie vertueuse et orientée vers la fin ultime à laquelle tout ici- bas est ordonné par la providence divine. C’est ici qu’il convient de rappeler, avec l’enseignement traditionnel de l’Église et avec tous les papes du siècle dernier, que l’État a un rôle considérable à accomplir auprès des citoyens pour les aider et les encourager dans la vertu. Il ne s’agit nullement de contrainte dans l’acte de foi, il ne s’agit pas de forcer la conscience de la personne dans ses actes internes et privés. Il s’agit du rôle naturel de la société civile voulu par Dieu pour aider les hommes à obtenir leur fin dernière.
On ne saurait mettre en doute [dit le pape Léon XIII ] que la réunion des hommes en société ne soit l’œuvre de la volonté de Dieu et cela, qu’on le considère dans ses membres, dans sa forme qui est l’autorité, dans sa cause ou dans le nombre et l’importance des avantages qu’elle pro¬ cure à l’homme.
Pie XI affirme à son tour : Dieu destina l’homme à vivre en société comme la nature le demande. Dans le plan du Créateur, la société est le moyen naturel dont l’homme peut et doit se servir pour atteindre sa fin .
Les princes et les gouvernants ayant reçu le pouvoir de Dieu afin que chacun, dans les limites de sa propre autorité, s'efforce de réaliser les desseins de la divine providence dont ils sont alors les collaborateurs, non seulement ils ne doivent rien faire qui puisse tourner au détriment des lois de la justice et de la charité chrétienne, mais ils sont tenus de faciliter à leurs sujets la connaissance et l'acquisition des biens impérissables .
Pie XII dit aussi : De la forme donnée à la société conforme ou non aux lois divines dé¬ pend et découle le bien ou le mal des âmes, c'est-à-dire le fait que les hommes, appelés tous à être vivifiés par la grâce du Christ, respirent, dans les contingences terrestres du cours de la vie, l’air sain et vivifiant de la vérité et des vertus morales ou, au contraire, le microbe morbide et souvent mortel de l'erreur et de la dépravation .
Le père Jolivet conclut d’une manière très claire son étude sur l’origine du pouvoir dans la société civile : Quel que soit le point de vue qu'on adopte touchant la cause efficiente de la réalité sociale, la doctrine de l’origine naturelle de la société ci¬ vile implique ce principe essentiel : que la société politique rassemblant d’une manière permanente, en vue du bien commun temporel, les groupements particuliers de familles et d'individus, est une institution voulue par Dieu auteur de la nature ou, en d’autres termes, qu’elle est de droit divin naturel.
C’est diminuer grandement la fonction générale de l'État que de se faire du bonheur temporel une idée toute matérialiste. Le bonheur temporel dépend pour une grande part des vertus intellectuelles et morales des citoyens, de la moralité publique, c'est-à-dire de l’heureux épanouissement de toutes les activités morales et spirituelles de l'homme et, en premier lieu, de la vie religieuse de la nation.
Cette tâche a un aspect négatif et un aspect positif . Il nous faut insister sur le lien intime de la fonction temporelle de l’État avec la religion. Car c’est là que se tient en vérité la clé de nombreux problèmes qui préoccupent aujourd’hui les gouvernants et l’Église elle-même : problèmes de justice sociale, de faim, de paix, de régulation des naissances, etc. Traiter ces problèmes en dehors d’une conception catholique de la cité est illusoire : on s’attaquera à pallier certains désordres momentanément, on résoudra quelques problèmes locaux, mais on n’ira pas à la racine des plaies de l’humanité.
Il faut dire et redire ce que l’Église a toujours proclamé : la solution des problèmes sociaux est dans le règne social de Notre-Seigneur Jésus-Christ tel qu’il nous est enseigné dans l’Évangile et le magistère de l’Église. « Sans moi vous ne pouvez rien faire », dit Notre-Seigneur.
Que l’on énumère les plaies sociales actuelles et l’on s’apercevra rapidement qu’elles ont leur source dans l’ignorance ou la négation de la vraie justice sociale et de la morale familiale et individuelle. Et quand cette ignorance ou cette négation s’exprime dans la législation, le mal devient permanent et à l’échelle de toute une nation.
Vouloir instaurer une justice sociale entre les employés et employeurs sans les principes de la justice chrétienne, c’est aller au capitalisme totalitaire qui tend à l’hégémonie financière et technocratique mondiale ou au totalitarisme communiste.
Faire du bien-être matériel le seul but de la société civile et de l’activité sociale, c’est s’acheminer rapidement vers la décadence intellectuelle et morale.
Qu’il s’agisse du mariage et de tout ce qui le concerne, seule la doctrine catholique préserve réellement cette institution qui est la base même de la société civile et qui, en conséquence, l’intéresse au plus haut point. Divorce, limitation des naissances, contraception, homosexualité, polygamie... sont des plaies mortelles pour l’État. Seule l’Église y apporte les vrais remèdes.
Les rapports entre fonctionnaires et administrés, entre l’État et les citoyens, le véritable amour de la patrie, les relations internationales sont intimement dépendantes de la conception de la morale sociale. Seule la religion catholique apporte les principes de justice, d’équité, de conscience professionnelle, de dignité humaine, conformes à la vie en commun telle que Dieu l’a voulue et la veut toujours.
Les moyens de communication sociale qui aujourd’hui complètent et continuent l’éducation ont des liens intimes avec les mœurs honnêtes, avec la vertu et le vice et en conséquence, avec la vraie religion. C’est faire preuve de grande ignorance ou feindre celle-ci que de ne pas vouloir constater que toutes les religions, hormis la vraie, traînent avec elles un cortège de tares sociales qui sont la honte de l’humanité : que l’on songe au divorce, à la polygamie, à la contraception, à l’union libre, etc. en ce qui concerne la famille ; que l’on pense aussi, dans le domaine même de l’existence de la société, aux deux tendances qui la ruinent : un élan révolutionnaire, destructif de l’autorité, démagogique, ferment de continuels désordres et fruit du libre examen, ou une tendance totalitaire et tyrannique qui fait du parti ou de la personne au pouvoir le fondement du droit.
L’histoire des derniers siècles est une illustration frappante de cette réalité. Il est donc inconcevable que les gouvernements catholiques se désintéressent de la religion dans le domaine public. Ce serait méconnaître la fin de la société, l’extrême importance de la religion dans le domaine social et la différence fondamentale entre la vraie religion et les autres en matière de moralité, élément capital pour l’obtention de la fin temporelle de l’État. Telle est la doctrine enseignée depuis toujours dans l’Église. Elle confère à la société un rôle essentiel dans l’exercice de la vertu des citoyens, donc indirectement dans l’obtention de leur salut éternel. Or la foi est la vertu fondamentale qui conditionne les autres. Il est donc du devoir des gouvernements catholiques de la protéger, de l’entretenir en la favorisant surtout dans le domaine de l’éducation.
On ne saurait trop insister sur le rôle providentiel de l’autorité de l’État pour aider et soutenir les citoyens dans l’acquisition de leur salut éternel. Toute créature a été ordonnée à cette fin ici-bas, et le demeure. Les sociétés : famille, État, Église, chacune à leur place, ont été créées par Dieu dans ce but. On ne peut nier l’histoire des nations catholiques : leur conversion à la foi manifeste le rôle providentiel de l’État, à tel point qu’on doit légitimement affirmer que sa participation au salut éternel de l’humanité est prépondérante. L’homme est faible, le chrétien chancelant. Si l’appareil de l’État et le conditionnement social sont laïques, athées, areligieux, à plus forte raison persécuteurs de l’Église, qui osera dire qu’il sera aisé pour les non-catholiques de se convertir et pour les catholiques de demeurer fidèles?
Plus que jamais, compte-tenu des moyens de communication sociale et des relations sociales qui se multiplient, l’État a une influence considérable sur la vie intérieure et extérieure des citoyens, sur leur comportement et, en définitive, sur leur destinée éternelle. Cela est malheureusement vrai surtout pour ceux qui intellectuellement, moralement et financièrement, sont plus faibles. Il serait donc criminel d’encourager les États catholiques à se laïciser, à se désintéresser de la religion, à laisser indifféremment l’erreur et l’immoralité se répandre et, sous le prétexte de la dignité humaine, à introduire un ferment dissolvant de la société. Une liberté religieuse érigée en droit public en vertu d’un soi-disant droit naturel, une exaltation de la conscience individuelle qui va jusqu’à légitimer l’objection de conscience sont évidemment contraires au bien commun.
C’est ce que le Magistère traditionnel de l’Église a toujours enseigné comme une doctrine immuable. Le pape Pie XII disait : La souveraineté civile a été voulue par le Créateur (...) afin qu’elle rendît plus aisée à la personne humaine, dans l’ordre temporel, l'obtention de la perfection physique, intellectuelle et morale et qu’elle l'aidât à at¬ teindre sa fin surnaturelle . Ainsi, qu’il s’agisse de l’autorité dans la famille, dans l’État ou dans l’Église, on ne peut qu’admirer le dessein de la Providence, de la paternité divine qui nous gratifie de l’existence, de la vie surnaturelle, de l’exercice de la vertu et, en définitive, de la perfection par le moyen de ces autorités. Cette dernière est, en réalité, une participation à l’amour divin qui de soi se répand et se diffuse. L’autorité n’a d’autre raison d’être que de répandre cette charité divine qui est Vie et Salut. Mais cette charité est exigeante de sa nature même. En effet, l’amour divin ne peut vouloir que le bien. Et le Bien suprême qui est Dieu, en nous donnant la vie - qui est une participation à son Amour -, nous l’oriente inflexiblement, la pointe vers le bien. Il oblige, nous lie, par son amour, au bien et à la vertu. Il nous donne l’orientation de sa charité par ses lois. Il nous en commande l’exécution et nous menace, si nous refusons son amour qui est notre bien. Ainsi en est-il des autorités. Toute législation légitime est le véhicule de l’amour divin, toute mise en application de cette législation n’est autre que l’expression de cette charité dans les faits, dans les actes, et donc une acquisition de vertu. Ces lois s’adressent à notre intelligence et notre volonté, qui, hélas, peuvent refuser d’être les véhicules de l’amour de Dieu. Ces refus appelleront les sanctions sur ceux qui mettent ainsi obstacle à l’amour, à la vie, au bien et, en définitive, à Dieu. On ne peut, en effet, concevoir l’autorité sans les pouvoirs de législation, de gouvernement et de justice. Ces trois manifestations trouvent leur synthèse dans l’amour divin qui en lui-même porte sa manifestation, son exercice et sa sanction. Puissions-nous, en conclusion de cet aperçu bien incomplet sur la grandeur de l’autorité dans les desseins de Dieu, partager les sentiments de saint Paul et dire avec lui : «Je ploie les genoux devant le Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, de qui procède toute paternité au Ciel et sur la terre . »