Un ferme défenseur de la foi rugit – passages du livre de Roberto de Mattei sur Vatican II
Mgr Antonino Romeo, de la Sacrée Congrégation des Séminaires et des Universités, déclencha, dans la revue Divinitas, une attaque virulente contre l’institut Biblique. Mgr Romeo était un prélat énergique, au physique sec, qui collaborait depuis les années 1930 à la congrégation dont le cardinal Ruffini avait été le Secrétaire. Son article dénonçait pour la première fois l’existence d’une conspiration organisée, issue de groupes néo-modernistes qui œuvraient au sein de l’Église. Mgr Romeo en parlait comme d’un « groupe qui, infatigablement, s’agite pour ouvrir des brèches de plus en plus larges dans l’édifice surhumain de la foi catholique, prétextant que, de nos jours, il n ’y a que la nouveauté qui doit intéresser, puisque l'Evangile qu 'il faut admettre n'est pas celui du passé, mais celui de l'avenir, l'Église à laquelle nous devons obéir n'est pas celle que nous connaissons, mais c'est celle de l’avenir ». « [...] On en est ainsi arrivé à la “théologie nouvelle’’, qui s'inspire des slogans du moment, de la “morale nouvelle ”, qui veut satisfaire les passions humaines et abolir la notion et le sens du péché ; de l’“histoire nouvelle”, qui consacre l’historicisme, ou le triomphe du fait ; du “droit nouveau ”, qui proclame la liberté du mal et de ceux qui sont suffisamment puissants pour pouvoir tout se permettre ; de la “psychologie nouvelle”, basée sur la psychanalyse pansexuelle ; de la “pédagogie nouvelle”, qui satisfait tous les instincts ; de l’“art sacré nouveau ”, qui exalte le surréalisme et le conceptualisme des charlatans. Le terme “principes ”, autrefois si employé, est en train de disparaître de la circulation [...]. Les progressistes d’aujourd’hui, se fondant sur le double mythe de la liberté humaine et du progrès humain, double postulat gnostique qui divinise la contingence fugace de notre valeur individuelle et de notre écoulement éternel et collectif vers un futur inconnu, en en faisant l'ersatz de l’Absolu, ces progressistes disais-je, transforment la religion et la science en une recherche continuelle, sans en déterminer la finalité, ni l’objet, ni les “constantes” que toute foi et toute science doit pourtant se proposer. On en arrive ainsi au triomphe de l'indétermination, c’est à dire du relativisme, et, enfin de compte, de la négation ». Il convient de rappeler que Mgr Romeo était non seulement un bibliste éminent, mais aussi un grand connaisseur du « mysterium iniquitatis ». On lui doit notamment les articles Antéchrist et Satanisme de l’Enciclopedia Cattolica, où il faisait preuve d’une connaissance théologique pénétrante des forces du mal qui sont à l’œuvre dans l’Histoire. Les quelques lignes que nous avons citées ci-dessus et celles qui suivent attirèrent sur lui l’accusation d’être un « visionnaire» ; mais aujourd’hui il nous semble qu’elles ne sont pas dénuées d’une force prophétique. Voilà ce qu’il disait : « Tout un travail incessant de termites qui s'agitent dans l'ombre, à Rome et dans toutes les parties du monde, oblige à deviner la présence active d’un plan complet d’encerclement et d’effritement des doctrines dont se forme et s'alimente la foi catholique. Des indices de plus en plus nombreux, de provenance variée, attestent du déroulement graduel d’une manœuvre vaste et progressive, menée par des chefs très habiles et apparemment très pieux, qui tend à supprimer le Christianisme enseigné jusqu’ici et vécu pendant dix-neux siècles, pour le remplacer par le Christianisme des temps nouveaux. La religion prêchée par Jésus-Christ et par les apôtres, intensément pratiquée par saint Augustin, saint Benoît, saint Dominique, saint François, saint Ignace de Loyola, est fébrilement rongée pour qu'elle disparaisse, et qu ’à sa place s'impose une nouvelle religion, une religion rêvée par les gnostiques de tous les temps, qu’on appelle déjà ici et là, “le Christianisme adapté aux temps nouveaux”. Le Christianisme des “temps nouveaux ” sera basé sur la divinité cosmique et sur les droits de l'homme ; il aura, pour dogmes de son “Credo ”, le monisme évolutionniste avec le progrès indéfini, la liberté humaine sans limites et l’égalité universelle, avec quelques touches de “foi” scientiste, théosophique et occultiste, qui varieront en fonction des différents milieux. Il aura pour morale obligatoire l'“ adaptation”, c’est à dire le “conformisme ”, avec l'interdiction de tout type de “frustration ” et le devoir de satisfaire tous les instincts et toutes les pulsions ; la finalité ultime de la vie éternelle sera abolie et remplacée par les “réalités terrestres ” que l'obscurantisme de ces dix-neuf siècles avait mis en quarantaine, et qui aujourd’hui ont été “réhabilitées” avec beaucoup de zèle. Dans ce Christianisme “nouveau”, Jésus, les apôtres, les définitions et les directives du magistère de l'Église de ces dix-neuf siècles, ne resteront qu 'à titre de souvenirs, avec une valeur uniquement “historique et apologétique” : autant de cycles de l’évolution indéfectible qui ne s’arrêtera que lorsque l’homme, devenu l’Être très parfait, se résorbera dans l'infinité du Tout».
11 mars
Un nouveau secrétariat
Fondation du « secrétariat pour l’unité des chrétiens » alors que l’unité est déjà assurée par l’Eglise catholique, du cardinal Béa. Il va court-circuiter le rôle de la commission théologique.
Printemps
Analyse des vota adressés à la Commission antépréparatoire.
24 avril
Vota de l’Institut biblique pontifical, ils remettent en cause l’inerrance et l’historicité des Évangiles.
VOTA DE MGR LUIGI MARIA CARLI
BIOGRAPHIE
Luigi Maria CARLI naquit à Comacchio (Italie) le 19 novembre 1914. Après avoir complété ses études secondaires au séminaire de son diocèse, il entra au Séminaire régional de Bologne qu’il fréquenta de 1930 à 1932. Il pousuivit ensuite ses étudesà Rome au Séminaire Romain et à l’Apollinaire (ancien nom de l’Université du Latran). Il en ressortit diplômé en théologie et en droit (utroque jure). Son mémoire de licence en théologie porte le titr
1.OMNIPRESENCE DE L’ESPRIT REVOLUTIONNAIRE
e suivant : La mort et l'assomption de la Vierge Marie dans les homélies grecques des VIIe et VIIIe siècles. Il fut ordonné prêtre le 20 juin 1937. Après son ordination, il devint recteur du séminaire de Comacchio et vicaire général de ce diocèse. En 1955, il fut nommé juge au Tribunal Régional de Flaminio, dont il devint président. Nommé évêque de Segni le 31 juillet 1957, il fut sacré le 21 septembre suivant par Mgr Giovanni Mocellini.Le 26 janvier 1973, il fut nommé archevêque de Gaëte, ville dans laquelle il mourut le 14 avril 1986. Au Concile, il fut nommé membre de la Commission préparatoire de Episcopis et Dioecesium regimine sur la proposition de Mgr Felici, puis membre de la commission conciliaire correspondante. Il se joignit au CIP après une intervention de Mgr de Proença Sigaud contre la collégialité le 9 octobre 1963.
En 1959, Mgr Carli était évêque de Segni, petit diocèse au sud-est de Rome. Ses vota étaient précédés d’une lettre adressée au pape, datée du 8 août 1959, et dont voici le contenu :
Très Saint Père,
Après avoir reçu la lettre qu’en votre auguste nom l’Éminentissime Président de la Commission Pontificale Antépréparatoire du Concile Œcuménique m’a très aimablement envoyée le 18 juin 1959, [...] je n’ai pas cessé de repasser dans mon esprit devant Dieu les sujets qui, semble-t-il, pourraient être traités pour le bien de notre Sainte Mère l’Église, pour autant que je pourrais le savoir.
Et maintenant, prosterné aux pieds de Votre Sainteté, vous qui êtes le Vicaire du Christ et le Pasteur des brebis et des Pasteurs, avec la sincérité et la soumission qui conviennent, je présente très humblement mon avis, ne sachant si certaines affaires relèvent plus de la réforme du Code et du ministère ordinaire du Souverain Pontife que des points à traiter au Concile Œcuménique; par ailleurs, certains sujets concernent davantage l’Église d’Italie que l’Église Universelle.
En attendant, j’invoque l’Esprit Paraclet par des prières incessantes pour que, sous la protection et la médiation de Marie Mère de Dieu, il illumine d’une lumière céleste Votre esprit et l’esprit de ceux qui, avec Vous à leur tête, seront les futurs Pères du Concile, et pour qu’il en fortifie la volonté de sa force suave.
Très Saint Père, daignez me réconforter, ainsi que le troupeau qui m’a été confié, par la Bénédiction Apostolique.
Dans ses vota, Mgr Carli reprit trois des catégories proposées par le cardinal Tardini dans sa lettre du 18 juin 1959. Son exposé était donc divisé en trois grandes parties : il s’intéressait tout d’abord aux questions doctrinales, puis à la discipline du clergé, et enfin à la discipline du peuple chrétien.
DOCTRINE
Dans sa première partie, consacrée aux sujets pour lesquels il estimait nécessaire une condamnation ou une définition, l’évêque de Segni se préoccupait tout d’abord de l’hédonisme. À ce propos, il réclamait qu’il fût établi que l’homme devait ordonner sa manière de vivre (privée et publique) en fonction de sa fin surnaturelle, que le matérialisme et le laïcisme fussent condamnés, que la supériorité de l’état de virginité sur l’état du mariage fût proclamée, et que l’indissolubilité et les fins du mariage fussent confirmées. Il demandait également la condamnation de l’évolutionisme matérialiste, du polygénisme, ainsi que du relativisme moral. Pour supprimer un des écueils séparant les protestants des catholiques, il requérait la définition précise du concept de « Tradition catholique » en tant que seconde source de la Révélation. Enfin, pour diminuer certains préjugés des Orthodoxes, il estimait nécessaire de spécifier ce qui suit : « [...] la façon dont le Souverain Pontife doit exercer en pratique son primat juridictionnel sur l’Église universelle n’est pas déterminée par une disposition divine, mais laissée à sa prudence sous l’assistance ordinaire du Saint- Esprit, selon les circonstances des temps et des lieux, en observant pour le reste ce qui relève du droit divin . » Dans le même but, il demandait la définition des trois points suivants : 1) l’épiscopat est vraiment et pro¬ prement un sacrement de la Nouvelle Loi 2) comme il succède au collège des apôtres dans la mission apostolique, le collège des évêques résidentiels fait partie, de droit divin et sous la prééminence du Souverain Pontife, de la structure essentielle de l’Église 3) pris collégialement et en communion avec le Souverain pontife, les évêques résidentiels jouissent du charisme de l’infaillibilité. Par conséquent, le droit strict et naturel d’être appelés en Concile et d’y avoir un vote délibératif ne revient qu’à eux. Pour les autres ce droit dépend d’une concession gracieuse du pape.
DISCIPLINE DU CLERGE
Après avoir réclamé la réalisation d’un Code liturgique pour l’Église latine universelle, l’évêque de Segni requérait une rédaction plus limpide des Actes des Sacrées Congrégations, de façon à ce qu’ils ne prêtassent occasion à aucun sophisme, à aucun doute, ni à des interprétations différentes qui en affaibliraient la force.
Il préconisait également l’extension des facultés accordées aux évêques résidentiels par le droit commun, de même que l’uniformisation de la manière d’agir des évêques d’un même pays ou de régions limitrophes à l’égard des points suivants : le texte du catéchisme, la méthode d’instruction catéchétique, la tenue des femmes dans les lieux sacrés, l’Action Catholique et ses rapports avec les a1.OMNIPRESENCE DE L’ESPRIT REVOLUTIONNAIRE utres associations pieuses, l’administration des sacrements - spécialement la confirmation et la première communion -, l’élimination lors des solennités religieuses de l’ingérence indue des laïcs et des spectacles indignes, les honoraires à acquitter pour les actes paroissiaux, et enfin, les relations du clergé avec les autorités civiles et les partis politiques. Cette unification semblait nécessaire à l’évêque de Segni afin de renforcer la discipline, de confirmer l’autorité épiscopale, d’empêcher les fidèles de comparer entre les diocèses, et d’édifier le peuple.
Mgr Carli souhaitait également que les recours anonymes contre les évêques auprès des Sacrées congrégations fussent interdits.
Enfin, il lui semblait opportun que des laïcs fussent admis comme maîtres dans les écoles et collèges pour laïcs, du moins pour les sciences profanes, en raison du nombre plus faible des prêtres et religieux, de façon à décharger ces derniers et les rendre disponibles pour l’apostolat. Se penchant sur le clergé diocésain, l’évêque de Segni demandait tout d’abord la suppression des diocèses trop petits. Il estimait en effet qu’ils nuisaient à la bonne organisation des activités, qu’ils engendraient des dépenses d’énergie et matérielles, qu’ils restreignaient la marge de manœuvre des évêques - à cause des rivalités et des partis entre clercs et laïcs -, qu’ils limitaient les possibilités de mutation, qu’ils empêchaient les évêques d’attribuer aux prêtres des charges adaptées à leurs capacités, et qu’ils étaient une des causes de la baisse des vocations : « En effet, il peut sembler trop dur à d’excellents adolescents de restreindre le cours de leur vie à l’intérieur des limites d’un petit diocèse, où les demeures sont très rares, où la possibilité de changer de résidence ou de charge est très faible ou nulle, d’où des disputes et des rivalités presque quotidiennes entre clercs ! Par conséquent, ou bien ils embrassent l’état religieux, dans lequel les possibilités de mutation sont plus vastes, ou bien ils restent dans le siècle. » Pour augmenter la sainteté des clercs, il proposait que les exercices spirituels devinssent obligatoires tous les ans, ou au moins une année sur deux ; que la vie commune fût solennellement recommandée, surtout pour les jeunes prêtres et dans les petites paroisses ; que les nouveaux prêtres fussent tenus d’assister, au moins tous les cinq ans, aux « settimane di aggiornamento per il Clero ».
Il suggéra en outre que le cursus des séminaristes fût réformé de la façon suivante : Après trois années complètes de lycée, qu’on instaure un cursus théologique de six ans.
Que le sous-diaconat ne soit pas conféré avant 23 ans accomplis ; mais que la loi du célibat et du bréviaire n’oblige les sous-diacres que temporairement. Quant au diaconat, qu’il ne soit pas conféré moins d’un an après la réception du sous-diaconat, et qu’alors la loi du célibat et du bréviaire devienne perpétuelle ; que l’on fasse de même quant à la profession perpétuelle des religieux. On accordera ainsi davantage de temps pour examiner les obligations de l’état clérical, et le retour à l’état séculier sera possible en pratique jusqu’à l’âge de 24 ans.
Enfin, il proposait que le clergé fût déchargé de l’administration directe des fonds qui était pour lui une source de difficultés et de tentations, et l’exposait au mépris des fidèles. Néanmoins, il demandait qu’on accordât « des moyens de subsistance assurés et convenables à tous les prêtres travaillant d’une manière ou d’une autre dans la vigne du Seigneur ».
Mgr Carli demandait par ailleurs des modifications dans les chapitres cathédraux et dans les fonctions des chanoines : « Il semble nécessaire de traiter tout ce qui se rapporte aux Chapitres des Chanoines, en tant que cause d’interminables disputes. J’estime que le service choral peut être restreint selon le droit commun aux seuls jours de fête de précepte, en donnant pourtant aux Évêques la faculté d’obliger les chanoines à dispenser le catéchisme, à enseigner gratuitement au Sé1.OMNIPRESENCE DE L’ESPRIT REVOLUTIONNAIRE minaire, à entendre les confessions et autres services de ce genre . » L’évêque de Segni fit également quelques requêtes à propos des religieux. Tout d’abord, il demandait la réforme du privilège de l’exemption. Il faisait valoir que les circonstances historiques qui en furent à l’origine n’existaient plus, qu’il se faisait au détriment de la discipline ecclésiastique et du gouvernement épiscopal, qu’il réduisait le clergé diocésain, et qu’il étonnait et scandalisait parfois les fidèles.
En outre, il jugeait que ce privilège était embarrassant pour la hiérarchie : « Les religieux sont nés pour servir d’aide à la hiérarchie sacrée ; l’exemption fait très souvent d’eux un embarras pour la hiérarchie sacrée. » Selon lui, les privilèges revendiqués par les religieux ne devraient pas consister en une dispense du droit commun mais plutôt dans son observance plus stricte, afin de donner un bon exemple aux autres clercs : « en effet, on dit que les religieux font profession de perfection ». Il estimait également que, dans la mesure où ils accomplissaient une œuvre concernant les fidèles (école, association, catéchisme, etc), les religieux devaient être soumis à l’évêque, pour ces choses, comme le clergé diocésain, sans aucun privilège. Il demandait aussi que les religieux fussent de meilleurs modèles de pauvreté : « On désire que tous les religieux offrent une image plus claire de la vertu de pauvreté, soit en tant qu’individus soit aussi en tant que communauté. Car il n’est pas rare de voir certaines pratiques qui s’accordent difficilement avec la profession de pauvreté. »
Enfin, il demandait que les religieux modifiassent certains arguments au moyen desquels ils tentaient d’attirer les vocations, car ils obscurcissaient le vrai sens de la vocation et faisaient, par leur publicité, du tort aux petits diocèses : Il semble qu’il faille changer quelque peu la méthode par laquelle de nombreux religieux pratiquent la recherche des vocations. Voici en effet que de partout et sans aucun règlement, très souvent avec l’aide de pieuses femmes et de religieuses, les religieux parcourent le diocèse (même ceux qui n’y ont aucune maison religieuse) à la recherche de vocations, promettant un cursus d’études facile et presque gratuit.
Ainsi, ce n’est pas toujours le désir d’acquérir la perfection qui pousse les candidats dans ces instituts ; la notion de vraie vocation est obscurcie, puisque assurément les adolescents et leurs parents considèrent davantage les moindres frais que la volonté de Dieu.
Ainsi, dans un diocèse de petites dimensions et pauvre, qui par conséquent ne peut pas demander un prix de pension plus faible ou du moins équivalent à celui d’un institut religieux, les candidats au sacerdoce se font rares, et un clergé suffisant fait défautu.
DISCIPLINE DU PEUPLE CHRETIEN
Concernant la discipline du peuple chrétien, Mgr Carli présenta ses requêtes sous la forme d’une liste portant sur des sujets divers. Il fit les treize requêtes suivantes :
1.De nombreux fidèles chrétiens s’efforcent de nos jours d’accorder la foi avec un néo-paganisme pratique. On doit exhorter les confesseurs à se montrer plus sévères lorsqu’ils entendent les confessions.
2.Il semble nécessaire de supprimer l’institution des parrains pour le baptême et la confirmation, dans la mesure où son utilité spirituelle, comme l’atteste l’expérience, est aujourd’hui quasi nulle, tandis que les inconvénients sont très nombreux (par ex. l’ajournement de ces sacrements à cause de l’absence ou du manque d un parrain). [Note : il suffit que le parrain ou la marraine absent délèguent à un tiers leur présence au baptême.
3.Que la célébration des fêtes des saints, de la confirmation, de la première communion et du mariage, au moyen de règles communes édictées par les évêques d’un même pays ou de plusieurs régions limitrophes, soient débarrassées du luxe et des divertissements profanes, au moins pour ce qui dépend de l’Église.
4.Qu’on abolisse la différence des « classes », comme on les appelle, dans la célébration d’un baptême, d’un mariage et d’un enterrement. Qu’il y ait le même service pour tous dans l’Eglise du Christ.
5.Il faut, semble-t-il, mettre la première communion au nombre des actes paroissiaux ; par conséquent, que le soin de juger de la disposition suffisante des enfants pour la première communion revienne au seul curé de paroisse, ou à un autre prêtre délégué par le curé de paroisse.
6.Il semble qu il faille définir plus précisément l’âge pour recevoir la confirmation, et son lien avec la première communion.
7.Quant aux jours de fêtes de précepte : ou bien qu’ils soient réduits aux seuls dimanches, en réformant pourtant le calendrier de façon à ce que toutes les solennités tombent toujours un dimanche ; ou bien qu’on impose aux seuls dimanches la double obligation d’entendre la messe et de s’abstenir des travaux, mais l’unique obligation d’entendre la messe pour les autres fêtes .
8.Quant à l’abstinence des travaux : il semble qu’on devrait mieux définir la nature et les limites de cette obligation, ainsi que les motifs qui en dispensent. On devrait abandonner la distinction inopportune entre les travaux serviles et les travaux nobles ; il faudrait trouver un autre critère.
9.Quant à l’instruction catéchétique : on doit établir solennellement son obligation, comme partie de la sanctification des jours de fête. Toutefois, pour tenir compte des habitudes d’aujourd’hui, l’instruction catéchétique des adultes pourrait être insérée (comme cela se faisait dans les premiers temps de l’Église) comme partie nécessaire et obligatoire dans la célébration même de la messe (par ex. après l’Épître et après l’Évangile).
10.Quant au précepte pascal : il faudrait accorder la possibilité de le remplir tout au long de l’année, bien que le temps pascal proprement dit soit recommandé .
11.Quant à la loi de l’abstinence et du jeûne : que l’on restreigne le précepte de l’abstinence en même temps que du jeûne à tous les vendredis de Carême, au Mercredi des Cendres, au Samedi Saint, aux vigiles de la Toussaint, de I'Immaculée Conception de la B.V.M. et de la Nativité de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Que tous les autres jours soient abolis .
12.Quant au temps où les noces solennelles sont interdites : qu’on le réduise au seul temps du Carême; si des noces, avec l’autorisation de l’évêque, sont célébrées durant cette période, qu’on donne aussi la bénédiction à l’épouse après le Notre Père (car les fidèles ne voient pas la solennité dans cette bénédiction), mais que toute pompe soit absolument interdite dans l’Église (par ex. les fleurs, la musique, le chant, les éclairages, les tapis, etc.) sans aucune dispense .
13.Pour limiter la multiplication des causes matrimoniales - ce qui dans la pratique met en danger l’indissolubilité et la sainteté de ce grand sacrement - il semble qu’il faille absolument refuser d’engager une procédure contre la validité sous prétexte qu’il y a eu violence, crainte, consentement non réel ou manquement de toute autre propriété essentielle. En d’autres mots : si les futurs époux, interrogés à part par le curé de paroisse avant le mariage, ont signé une déclaration disant que par une volonté libre et sincère ils voulaient contracter mariage au sens où l’entend l’Église catholique et s’ils ont affirmé la même chose de vive voix au cours de la célébration du mariage elle-même, le bien commun semble exiger que ce mariage soit, par présomption du droit et de droit, considéré comme absolument valide. J’estime qu’une fois cette présomption établie, les cas de conflit entre le for interne et le for externe seront moins nombreux qu’il n’y a actuellement de cas de déclaration de nullité de mariages vraiment valides !
Les vota de Mgr Carli sont comparables à ceux de Mgr Lefebvre. Tout comme l’archevêque français avec lequel il allait collaborer pendant le Concile, l’évêque de Segni se montra soucieux de rigueur doctrinale, de discipline ecclésiastique, et du renforcement de l’autorité épiscopale. Tout comme lui, il proposa des réformes pratiques et concrètes. Alors que l’archevêque de Dakar demandait la réduction des diocèses trop grands, l’évêque du petit diocèse de Segni demandait l’agrandissement des diocèses trop petits. Tandis que Mgr Lefebvre proposait certaines simplifications et adaptations, Mgr Carli proposait, par exemple, d’alléger certains commandements de l’Église. Les vota de ces deux futurs Pères furent écrits dans la même perspective.
VOTA DE MONSEIGNEUR DE PROENCA SIGAUD
Geraldo DE PROENÇA SlGAUD (1909-1999, SVD) naquit à Belo Horizonte (Brésil) le 26 septembre 1909. Entré dans la Société du Verbe Divin, il reçut l’habit religieux le 2 février 1926. Deux ans plus tard, jour pour jour, il prononça ses premiers vœux, avant d’être envoyé à Rome pour y faire un doctorat en théologie à la Grégorienne (1928-1932). C’est dans la Ville Éternelle qu’il fit ses vœux perpétuels, le 2 février 1931, et qu’il fut ordonné prêtre le 12 mars 1932. Il devint ensuite professeur de théologie fondamentale et dogmatique au Grand Séminaire de Sâo Paolo, où enseignait également Mgr Antonio de Castro Mayer. Après avoir donné son appui à un ouvrage de Plinio Corrêa de Oliveira dénonçant les infiltrations progressistes dans l’Action catholique brésilienne (Em defesa da Açâo Catôlica, Sào Paulo : Ave Maria, 1943), il fut sanctionné, tout comme Mgr de Castro Mayer, et envoyé en Espagne au mois de mars 1946. Quelques mois plus tard, le 29 octobre 1946, il fut nommé évêque de Jacarèzinho par Pie XII, et sacré le 1er mai 1947. Le 20 décembre 1960, il fut transféré à l’archevêché de Diamantina. Secrétaire du CIP pendant le concile Vatican II, il ne suivit pas Mgr Lefebvre dans sa réprobation du Concile. Il démissionna de sa charge à Diamantina le 10 septembre 1980 et mourut le 5 septembre 1999.
Mgr Geraldo de Proença Sigaud, futur secrétaire du Cœtus Internationalis Patrum et l’un des animateurs les plus actifs du groupe, répondit à la requête du cardinal Tardini par un texte daté du 22 août 1959. Le fil directeur de ses vota est un appel général à la lutte contre-révolutionnaire, à propos de laquelle il estimait que le Concile devrait présenter un plan d’action concret. Ses vota étaient précédés des mots suivants, adressés au cardinal Domenico Tardini :
Éminentissime Seigneur,
Me conformant à votre lettre du 18 juin, dans laquelle vous me demandez mon opinion sur les sujets à traiter dans le prochain concile œcuménique, je vous écris la présente lettre. Je présenterai avec humilité et modestie certains points qui pour moi sont d'une grande importance mais sans avoir l'intention d’accuser quiconque ni de soumettre à critique mes Supérieurs. Je ne parlerai pas de questions dogmtiques ou juridiques. D'autres évêques en traiteront certainement. J'aborderai des questions pratiques et fondamentales pour l’avenir de l’Église, et je vous prie de les considérer avec bonté.
Les vota de Mgr de Proença Sigaud sont présentes de façon très structurée. Après une introduction, ils comportent six parties intitulées : « I Notre ennemi » ; « II Combat catholique contre cet ennemi » ; « III. La stratégie du cheval de Troie »; « IV. Difficultés internes »; « V. Combat contre-révolutionnaire »; « VI. Épilogue ». Voici le plan complet de son texte :
INTRODUCTION
I. NOTRE ENNEMI
A)La secte Franc-maçonne
B)Le Communisme
C)Le Judaïsme international
D)La Révolution
II. COMBAT CATHOLIQUE CONTRE CET ENNEMI
A)Certains principes
B)Le Syllabus du pape Pie IX
III. LA STRATÉGIE DU CHEVAL DE TROIE
A)Doctrine du moindre mal
B)Esprit d’accommodement avec les non-catholiques
C)Coopération avec les non-catholiques
D)La bonne foi
E)Les véhicules de corruption
F)Les livres
IV. DIFFICULTES INTERNES
A) Stagnation de la scolastique
B) Le naturalisme pédagogique
1.OMNIPRESENCE DE L’ESPRIT REVOLUTIONNAIRE
Dans son introduction, Mgr de Proença Sigaud se déclarait rempli d’angoisse en considérant le catholicisme car il voyait les principes de l’esprit révolutionnaire envahir le clergé et le peuple chrétien. Tandis que de nombreux clercs ne percevaient plus les erreurs de la Révolution et ne lui opposaient plus aucune résistance, d’autres la propageaient et attaquaient ceux qui la pourfendaient.
« Tout comme autrefois les principes, les doctrines, l’esprit et l’amour du paganisme entrèrent dans la Société du Moyen Âge, et causèrent les pseudo-réformes, de même aujourd’hui beaucoup de membres du clergé ne voient pas encore les erreurs de la Révolution, et ne s ’y opposent pas encore. D'autres encore, au sein du Clergé, aiment la Révolution comme principe idéal, et la diffusent, y collaborent, s’opposent aux adversaires de la Révolution, dénigrent et empêchent leur apostolat. Bien des pasteurs se taisent. D’autres ont embrassé les erreurs et l'esprit de la Révolution, et ouvertement ou de manière occulte la favorisent, tout comme l ont fait les Pasteurs au temps du Jansénisme. Ceux qui accusent et refusent les erreurs sont persécutés par leurs collègues et sont catalogués comme “intégristes”. Des séminaires de Rome même reviennent des séminaristes bourrés des idées de la Révolution. Ils se définissent comme étant des “maritainistes ”, ils sont des “disciples de Teilhard de Chardin ”, des “socialistes catholiques ”, des “évolutionnistes ”. Rarement un prêtre qui s'oppose à la Révolution est élevé à l’épiscopat ; fréquemment ceux qui la favorisent.
[...] A mon humble avis, si le Concile veut obtenir des effets salutaires, il doit en premier lieu considérer l’état actuel de l’Eglise, qui, à l'image du Christ, est en train de vivre un nouveau Vendredi Saint, livrée sans défense à ses ennemis, comme le disait Pie XII aux jeunes Italiens. Il faut voir le combat mortel qui se livre dans tous les domaines contre l’Église, il faut connaître l’ennemi, distinguer la stratégie et la tactique de la bataille, sa logique, en voir clairement la psychologie et la dynamique, pour interpréter de façon sûre les affrontements un par un, organiser la contre-attaque, et la mener avec fermeté.
L'ennemi implacable de l'Église et de la Société Catholique agit depuis déjà cinq siècles dans cet affrontement, et à travers une progression mortifère, lente et systématique, il a renversé et détruit presque tout l'ordre catholique, c'est à dire la cité de Dieu, et il s’efforce de construire la cité de l’homme à la place. Son vrai nom est : révolution. Mais que veut-il ? Construire toute la structure de la vie humaine, la Société et l'Humanité sans Dieu, sans l’Église, sans le Christ, sans la Révélation, en ne s'appuyant que sur la Raison humaine, la sensualité, la cupidité et l’orgueil. Pour ce faire, il faut renverser, détruire et démanteler l'Église jusque dans ses fondements. »
De nos jours, cet ennemi se trouve en pleine activité, car il est sûr de sa victoire dans les années à venir. Pourtant, beaucoup de chefs Catholiques méprisent ce que je dis, comme s'il s'agissait de rêves qui seraient le fruit d’une imagination malsaine. Ils se comportent comme se comportaient les hommes de Constantinople dans les années précédant la défaite : aveugles, ils ne voulurent pas voir le danger.
« Le processus de la Révolution commence à la fin du Moyen Âge, il se développe avec la Renaissance païenne, il a fait de grands progrès pendant la pseudo-Réforme. Durant la Révolution française, il a détruit la base politique et sociale de l ’Eglise ; pendant la prise de l’État pontifical, il a tenté de détruire le Saint-Siège ; par la sécularisation des biens religieux et des diocèses, il a dispersé le patrimoine de l’Église , par le modernisme, il a créé une crise interne très grave ; enfin, par le communisme, il a créé un instrument décisif pour effacer le nom chrétien de la surface de la terre. La force formidable de la Révolution provient d’un usage habile des passions humaines. Le communisme a créé la science de la Révolution, et son arme d’élection est l'encouragement méthodique des passions humaines effrénées. La Révolution se sert de deux vices comme forces de destruction de la société catholique, et de construction de la société athée : la sensualité et l’orgueil. Ces passions desordonnées et fortes sont orientées de manière scientifique à une fin précise, et se soumettent à la discipline de fer de leurs dirigeants, pour détruire jusque dans ses fondements la cité de Dieu et construire la cité des hommes. Elles accueillent même la dictature, endurent la pauvreté pour construire l’ordre de l’Antéchrist
a. La condamnation des doctrines perverses est absolument nécessaire, mais ne suffit pas.
b.Il faut une bataille organisée contre les erreurs, contre les promoteurs et contre ceux qui propagent ces erreurs. Une telle bataille organisée, comme une armée ordonnée et méthodique, est aujourd’hui favorisée par le progrès des communications avec le Saint-Siège. Toutefois, le Clergé, les Ordres Religieux, nos écoles, le laïcat ne se mobilisent pas systématiquement. Il manque une résistance organisée contre les idées et contre les personnes.
c.Une bataille organisée doit frapper également les formes larvées de la Révolution, ses erreurs et l’esprit qui la propage. Ces formes ont généralement deux caractéristiques :
1.Elles sont les conséquences logiques d’erreurs, ou les expressions psychologiques d’un faux principe, appliquées à un domaine très concret.
2.Les contenus sont présentes de telle manière qu’un fidèle moins informé ne perçoit pas la malice de la doctrine.
3.S’il ne perçoit pas la malice de la doctrine, le fidèle en conserve dans l’âme, de manière latente et active, le principe pervers, et, insensiblement, sans s’en rendre compte, il s’imprègne de ce principe, et de l’esprit de la Révolution ».
L’évêque de Jacarenzinho considérait comme nécessaire une réédition du « Syllabus de Pie IX», y incluant les erreurs du socialisme et celles de Marc Sangnier et du Sillon ; « l’hérésie sociale de Maritain tout entière », «l’idolâtrie démocratique ; les idoles de la Démocratie Chrétienne ; les erreurs du liturgisme ; les erreurs du sacerdoce des laïcs de l'Action Catholique. Les erreurs à l’égard de l’obéissance, des vœux religieux ; les erreurs du communisme, à l’égard de la propriété, l’évolutionnisme panthéiste, universel ». Dans sa vaste argumentation, Mgr de Proença Sigaud décrivait ensuite la « stratégie du Cheval de Troie » de l’ennemi ; il indiquait certains des points caractéristiques dont ce dernier se servait dans le but de dissoudre les principes et la morale catholique : « la doctrine du moindre mal » ; l’« adaptation aux non-catholiques » ; « la collaboration avec les non-catholiques » ; le mythe de la « bonne foi » ; « le bal » ; « la mode » ; les « concours de beauté » ; « le cinéma » passionnel ; la diffusion des mauvais livres. »
Monseigneur Sigaud souhaitait une « science de la Contre- Révolution » qui aiderait l’Église à écraser les erreurs répandues en son sein.
« La conspiration de la Révolution est unique et organique. Cette conspiration doit être combattue de manière et par une action unitaire et organique. [...] Il me semble qu’il faut créer une stratégie catholique, ainsi qu'un centre de combat méthodique contre la Révolution dans le monde entier, et qu il faut y appeler les catholiques. Ainsi pourrait-on espérer l’aurore d’un monde vraiment meilleur. Il est juste que ce soit le Saint-Siège lui-même qui dirige cette “offensive ”. Les éléments qui, dans le clergé et dans le laïcat, ont déjà fait leurs preuves dans le combat contre-révolutionnaire, devraient former le “Capitole ” de cette armée. Il faudrait créer une véritable science de la guerre contre- révolutionnaire, tout comme il existe une science de la Révolution. Le combat catholique contre les ennemis de l’Église me paraît une bataille entre les aveugles et ceux qui voient. Nous ignorons le but, la méthode, la dynamique, la stratégie et les armes. [...] La force du Saint-Siège est immense. Si on appelait les fidèles à se rassembler, et qu ’on les dirigeât vers l'action de manière énergique, claire, méthodique, dans un véritable combat mondial, sous la direction du Pontife Romain, le chemin triomphal de la Révolution s'arrêterait et l’on instaurerait le règne du Très Sacré Cœur de Jésus. Tout restaurer dans le Christ. [...] De nombreux Catholiques sont fortement tentés de traiter le communisme de la même manière dont, au siècle dernier, l’Église traitait le libéralisme, et tel qu’il est encore traité de nos jours. [...] La coopération avec le communisme aura toujours pour issue la destruction de l'Église.La solution aux difficultés actuelles ne se trouve pas avant tout dans les conférences internationales, mais dans une nouvelle christianisation des mœurs. Si Dieu et son Christ étaient placés à la base de la vie individuelle, familiale et nationale, les forces mêmes de la nature exigeraient des solutions naturelles, qui devraient être soutenues par l’intellect et la bonne volonté des hommes. [...]
Si le Concile œcuménique présentait un programme positif d’action contre-révolutionnaire et de construction de la Chrétienté, avec ses aspects concrets, et convoquait dans ce but les catholiques, je crois que l’on assisterait alors à l’aube du Règne du Sacré Cœur de Jésus et du Cœur Immaculé de Marie.»
VOTA DE MGR LEFEBVRE
Les suggestions de Mgr Lefebvre étaient divisées en six parties intitulées respectivement : 1. Points de doctrine 2. Points de droit canonique 3. Points de doctrine sociale 4. Relations des évêques avec le Saint-Siège et avec les Congrégations romaines 5. Les Séminaires et les déviations doctrinales et disciplinaires du clergé et des religieux 6. Questions diverses. Comme ils sont bien organisés et hiérarchisés, nous allons présenter les vota du futur président du Cœtus Internationalis Patrum en conservant son plan général et en présentant, à l’intérieur de chacune des parties, ses demandes spécifiques.
1. POINTS DE DOCTRINE
Concernant la doctrine, Marcel Lefebvre considérait qu’il était « souhaitable de définir ou du moins d’affirmer » six points.
Tout d’abord, il demandait la définition de la médiation universelle de Marie, qui « ne fera que confirmer la Maternité spirituelle de la Vierge Marie » et « sera une grande consolation pour les cœurs de tous ses fils, qui sentent plus que jamais le besoin de se réfugier dans son cœur maternel ».
L’archevêque de Dakar désirait également que fût précisé le sens du dogme « hors de l’Eglise, point de salut », car certains auteurs énonçaient à ce propos des erreurs qui ruinaient le sens missionnaire de l’Église.
De même, il souhaitait la précision de la proposition selon laquelle « les infidèles dans certaines conditions de foi et de moralité peuvent se sauver par "le désir implicite du baptême" ». Par ailleurs, il désirait qu’on déterminât s’il était possible ou non d’affirmer que les musulmans adoraient le même Dieu que les catholiques [non : qui n'a pas le Fils n'a pas le Père, ils adorent une idole, nonobstant la bonne foi de ceux qui proclament un Dieu unique].
Mgr Lefebvre demandait aussi la condamnation des erreurs d’Yves Congar dans son livre Essai d’une théologie pour le laïcat. Il s’agit en fait du livre suivant : Yves CONGAR, Jalon pour une théologie du laïcat, Paris : Éditions du Cerf, 1953. Après le Concile, Mgr Lefebvre déclara s’être levé plusieurs fois pour faire des réflexions à la Commission centrale préparatoire du Concile, en particulier quant au choix des experts (Marcel LEFEBVRE, « Le Concile ou le triomphe du libéralisme », Fideliter n° 59, septembre-octobre 1987, p. 39).
Il ajoutait la précision suivante : « Définir la valeur du Saint Sacrifice de la Messe, l’extension de ses grâces même aux païens et infidèles. »
Enfin, dans un dernier point, il émettait le vœu que la place du laïcat dans l’Église fût précisée et qu’on donnât des « notions précises sur l’Action Catholique ». S’il reconnaissait que les dernières encycliques avaient apporté « heureusement [...] des éclaircissements » sur le sujet, il estimait néanmoins qu’il serait « très opportun de détruire définitivement des notions erronées qui ont causé un dommage considérable ». Il ne précisait pas davantage sa pensée à ce sujet.
2. POINTS DE DROIT CANONIQUE
Après avoir présenté les aspects de la doctrine qu’il souhaitait voir définis ou affirmés, Marcel Lefebvre passait aux points de droit canonique. À ce propos, il demandait la précision ou la modification de six articles.
Tout d’abord, il insistait sur la nécessité de définir très exactement les attributions des Assemblées épiscopales d’une région ou d’un pays, « c’est-à-dire celles qui débordent une province ecclésiastique ». Il souhaitait que ces assemblées fussent limitées à la fois dans leur fréquence et dans leurs pouvoirs. Mgr Marcel Lefebvre insistait sur ce point car, selon lui, ces assemblées - tout comme les exemptions ou les directives d’œuvres supradiocésaines (Action catholique, etc.) - paralysaient les évêques. Il préconisait au contraire une réunion plus fréquente des Assemblées provinciales. Par ailleurs, il souhaitait l’accélération des procès en nullité de mariage, la simplification et l’adaptation des règles concernant les bénéfices ecclésiastiques, la simplification du chapitre pour les délits et les peines, l’extension du pouvoir d’entendre les confessions, et la libéralisation (codifiée) de la possibilité de célébrer la messe le soir.
3. POINTS DE DOCTRINE SOCIALE
En ce qui concerne la doctrine sociale, Mgr Lefebvre demandait la définition des « affirmations absolument certaines et formant un code social de base pour toute société qui prétend être chrétienne ». Il donnait les cinq exemples suivants de « vérités battues en brèche par le communisme, le socialisme et le capitalisme imbu de libéralisme » :
« Que la société telle que Dieu l’a créée comporte et comportera toujours une unité organique, que la famille, comme la société civile comportent des éléments divers inégaux en devoirs et en droits... ».
« Que cette diversité organique est une nécessité vitale en vue de l’exercice de la justice et de la charité et non pour l’injustice et la haine... ».
« Que cette organisation voulue par Dieu condamne aussi bien l’égoïsme qui exploite le prochain, que la discorde qui attise la haine et provoque une lutte, affirmant que celle-ci est une nécessité... ».
« Que la propriété privée, légitimement acquise et gérée selon les normes de la justice et de la charité est une chose naturelle, voulue par Dieu... ».
« Que la famille telle que Dieu l’a constituée ne donne pas les mêmes devoirs et les mêmes droits à l’époux et à l’épouse, ni aux enfants. »
4. RELATIONS DES EVEQUES AVEC LE SAINT-SIEGE ET LES CONGREGATIONS ROMAINES
Dans son quatrième point, Mgr Lefebvre traitait des relations des évêques avec le Saint-Siège et avec les Congrégations romaines. Il demandait tout d’abord que les visites ad limina fussent plus efficaces, « pour la sauvegarde de la vérité et la vitalité de l’apostolat », mais surtout il critiquait durement les défaillances de la Sacrée Congrégation de la Propagation de la foi, à propos de laquelle il écrivait : « Elle me paraît bien inadaptée à l’immense tâche qui lui incombe ». Il proposait donc un plan de réforme radica. Au lieu d’un secrétaire absolument débordé par les visites des séminaristes aux Nonces et Délégués, en passant par toutes les Congrégations de Religieuses... Il faudrait des sections avec sous-secrétaires : - pour l’Afrique, - pour l’Amérique, - pour l’Asie etc. Les Évêques, Supérieurs généraux, Délégués Apostoliques, Nonces étant seuls reçus par le Secrétaire et le Cardinal Préfet. Les Délégués Apostoliques devraient être entendus longuement et méthodiquement, comme en commission d’études. Or il est entendu comme un séminariste de n’importe quelle provenance... Les questions graves ne sont pas vraiment étudiées comme celles des universités, des grands séminaires, des œuvres de formation des élites : centres sociaux, centres d’étudiants, étudiants a l’étranger etc. Ces choses ayant des incidences financières, et le préposé aux finances refusant catégoriquement d’entendre parler de ces choses, l’Afrique par exemple se trouve maintenant démunie d’élites intellectuelles catholiques vraiment formées et convaincues, sauf quelques exceptions dues à la ténacité d’une lutte sans relâche pour avoir quelques fonds destinés à ces œuvres.
5.LES SEMINAIRES ET LES DEVIATIONS DOCTRINALES ET DISCIPLINAIRES
À propos des séminaires et des déviations doctrinales et disciplinaires du clergé, après s’être demandé «comment des prêtres et des religieux peuvent enseigner des erreurs manifestes au point de vue social, liturgique et même dogmatique, comment la discipline des séminaires, la moralité du clergé en sont arrivés [sic] à ce point de relâchement », Mgr Lefebvre décelait et dénonçait deux causes majeures : tout d’abord, le mauvais choix des évêques, qui obéissait trop souvent à des « considérations étrangères à l’Église », et ensuite les cours donnés dans les séminaires et les scolasticats. Marcel Lefebvre déplorait tout d’abord que des cours fussent donnés sans manuels, parce que leur contenu était impossible à vérifier par les évêques. Il préconisait donc la rédaction de manuels composés en suivant la Somme de Saint Thomas, « seule vraie synthèse de la foi et de la morale ». Selon lui, l’enseignement de la philosophie devrait se faire « essentiellement en vue du dogme et de la Somme pour éviter cette dichotomie entre le rationnel et la foi, qui est un écueil déplorable pour toute la vie et la pensée ». Enfin, il estimait que l’Ecriture Sainte devrait être étudiée « plus pastoralement », de façon à procurer « une source de prédication et de vie intérieure vraiment chrétienne » Dans cette partie, il réclamait encore deux choses : la restauration de la discipline ecclésiastique dans les séminaires, et la rénovation de la discipline du clergé.
6. QUESTIONS DIVERSES
Dans une sixième et dernière partie, Mgr Lefebvre se prononçait sur des « Questions diverses », à savoir le bréviaire, le célibat ecclésiastique, la soutane, le nombre des évêques, ainsi que les cérémonies du baptême et du catéchuménat. Pour ce qui est du premier point, tout en soulignant qu’il fallait « garder au bréviaire toute son importance de prière publique, toute sa structure de psaumes et de leçons », il demandait que certaines leçons historiques fussent abrégées et que certains rites doubles fussent réduits au rite simple. Concernant le célibat ecclésiastique, il affirmait qu’il était « indispensable à la sainteté de la fonction sacerdotale, à son désintéressement et à l’efficacité de son apostolat », et qu’il ne fallait pas le remettre en question même s’il était critiqué et que « les cas douloureux se multipli[ai]ent ». À propos de la soutane, il estimait qu’elle devait être conseillée et ordonnée « là où il est coutume de la porter ». Toutefois, l’archevêque de Dakar jugeait que dans certains pays le port d’un signe apparent spécifiant leur sacerdoce serait « une solution bien aisée » pour les prêtres. Il pensait à une croix apparente sur les vêtements: « Si cet insigne était admis universellement comme spécifiant le prêtre catholique, ce serait à mon sens, d’un avantage appréciable et rendrait assez indifférent le costume. » Il avait certainement conscience d’être à «l’avant-garde », puisqu’il continuait en écrivant : « Mais il est sans doute encore trop tôt pour admettre une solution de ce genre. » A Ecône, plus tard, Mgr Lefebvre aura toutefois à cœur d’inciter ses séminaristes à porter la soutane, comme habit distinctif. Partant du postulat que les évêques devaient connaître personnellement leurs prêtres « pour avoir une action efficace et vraiment apostolique », Marcel Lefebvre estimait qu’il fallait augmenter le nombre des évêques de façon à ce qu’un diocèse ne dépasse pas 400 ou 500 prêtres et pas plus de 200 000 fidèles. Enfin, sur la question de l’adaptation des cérémonies du baptême et du catéchuménat, il écrivait : « Les avis favorables à cette progression des cérémonies en même temps que la progression de l’instruction et de l’initiation sont nombreux et il me semble que ce désir est très légitime et favoriserait la persévérance des catéchumènes et leur formation. »
Les vota de Mgr Lefebvre montrent un homme attentif à la rigueur doctrinale et disciplinaire, demandant des définitions et des affirmations doctrinales (définition de la médiation universelle de Marie, explication du dogme «hors de l’Église, point de salut», etc.), souhaitant la condamnation des erreurs (par exemple celles d’Yves Congar), mais aussi un évêque soucieux d’adaptation pratique, d’organisation efficace et de simplification. Ses préoccupations n’étaient pas seulement doctrinales ; elles étaient également pragmatiques, comme le montrent, par exemple, ses souhaits concernant l’accélération des procès en nullité de mariage, la simplification et l’adaptation des règles relatives aux bénéfices ecclésiastiques, l’élargissement du pouvoir d’entendre les confessions, et l’extension de la possibilité de célébrer la messe le soir. C’est aussi pourdes raisons pratiques qu’il préconisait une réforme de la Congrégation de la Propagande, l’augmentation du nombre des évêques, l’adaptation des cérémonies du baptême et du catéchuménat, ainsi que la simplification du costume ecclésiastique. Mgr Lefebvre, prélat missionnaire, était donc un homme de doctrine, mais également pragmatique, soucieux d’adaptations et de rénovations pratiques.