20 Sep
20Sep

Louis Jugnet publia en 1948 un ouvrage sur la pensée de saint Thomas d’Aquin.

La Pensée de saint Thomas 


     Les Nouvelles Éditions Latines ont ré­édité ce livre d’introduction à saint Tho­mas d’Aquin, un des meilleurs manuels de ce genre, désormais devenu un « classique ». Cette édition est dite « revue et corri­gée ». 

     Il semble que le texte soit le même que celui de la première édition de 1948, sauf l’appendice bibliographique qui a été mis à jour. Mais les notes de bas de page ont été modifiées par Jean-Claude Absil [1], et il n’est pas possible malheureusement, à moins de comparer avec l’édition précé­dente, de savoir ce qui est de Louis Jugnet (décédé en février 1973) et ce qui est de son correcteur. Certaines notes dites N.d.E. sont en grande partie de Jugnet (par exemple la note 9, page 212, ou la note 10, page 220), tandis que d’autres notes, où n’apparaît pas ce sigle, ont été modifiées de façon importante (par exemple la note 10, page 212). 

     Quand il est paru pour la première fois, ce livre fut remarqué par Pie XII qui voulut encourager son auteur : Quand parut son livre sur : La Pen­sée de saint Thomas d’Aquin, il m’é­crivit, à la date du Samedi saint 1950 : « J’ai reçu du Vatican une lettre de deux pages, très explicite et très favo­rable (“Le Saint Père a surtout appré­cié... Le Saint Père tient à vous dire... Il a particulièrement remarqué, etc...”) se terminant par “une spéciale bénédic­tion pour ma famille si cruellement éprouvée”. Les esprits les plus cri­tiques sont sûrs de son authenticité. Il paraît du reste que le Saint Père a voulu lui-même le texte à mon sujet dans l’Osservatore Romano »... 

     Plus tard, le 24 janvier 1958, il me faisait part d’une rencontre avec le cardinal Ottaviani : « J’ai été reçu en septembre, de façon émouvante en sa spontanéité affectueuse, par le cardinal Ottaviani, que je n’avais pas revu depuis un cer­tain temps. Approbation catégorique et inconditionnée de toutes mes activi­tés : “Tout ce que vous faites est exactement ce qu’il faut faire. Tenez envers et contre tout.” » (Témoignage du Père Delbos, MSC, paru dans Les Cahiers de Louis Jugnet III, page 20). Reconnaissons qu’au premier abord, un tel livre peut faire peur. Le titre pourrait bien cacher, en effet, un exposé froid et lourd, un langage difficile réservé aux seuls initiés. Quand nous l’ouvrons, l’impression est tout autre. Rien du professeur qui nous écrase sous le poids de sa science, ni du chercheur qui vous perd dans le labyrinthe de ses développements. 

     Il se dégage de ces pages, au contraire, une impression de fa­cilité, de possession tranquille de la vérité, d’explication sûre et claire. 

Quelque chose comme un entretien familier, un ensei­gnement bien adapté. C’est que Louis Jugnet n’est pas seu­lement un professeur de philosophie, c’est un maître. Il ne se contente pas de livrer un bagage doctrinal, il éduque, il transmet une vie. C’est ce qui donne à son livre l’allure d’une rencontre amicale. Le maître a invité son disciple chez lui, il lui parle, éveille sa curiosité, fortifie ses convictions, encourage son labeur, devine ses doutes, y répond en profondeur, lui communique son amour du vrai et sa piété pour saint Thomas. 

L’auteur nous en avertit lui-même : 

     « Nous savons qu’on nous reprochera d’avoir insisté sur les thèmes qui préoccu­pent le plus l’homme moderne plutôt que d’avoir fait une reconstitution historique et littérale d’une doctrine du XIIIe siècle. Ce reproche, nous l’encourons de bon cœur, sûr que notre maître lui-même (saint Thomas) nous approuve d’avoir essayé d’entrer en contact avec le lecteur plutôt que d’avoir fait œuvre d’érudition narrative et archéologique » (page 204). 

     Ce caractère tout particulier de l’ouvrage explique quels en sont les destinataires, le plan et l’actualité. Les destinataires Ce sont les hommes de bonne volonté qui, devant la marée de doutes et d’erreurs qu’est la pensée moderne, veulent se mettre à l’école de saint Thomas et s’imprégner de sa sagesse. Louis Jugnet nous met à l’aise tout de suite. 

Aux « gens désireux de s’in­former objectivement », il propose de don­ner « une bonne initiation d’ensemble qui ne soit ni un travail d’érudition, ni une œuvre de vulgarisation au sens péjoratif du terme ; qui sache aller au fond des ques­tions, atteindre l’essentiel des principes, tout en restant claire et assimilable pour l’honnête homme » (pages 9-10). 

Le plan 

     En bon pédagogue, l’auteur com­mence par définir son sujet et défendre l’existence même de sa discipline. Qu’est-ce que la philosophie thomiste ? Une phi­losophie chrétienne est-elle seulement pos­sible ? Deux écueils sont à éviter. D’une part, l’erreur de ceux qui coupent absolu­ment la religion de la raison : « Pour le ra­tionalisme universitaire, l’idée même d’une philosophie chrétienne est un non-sens. » 

Parlons alors de la philosophie d’Aristote et de la théologie de saint Thomas, mais pas de philosophie thomiste. D’autre part, l’erreur qui consiste à faire disparaître toute la pensée humaine dans la foi : peut-on dire que Thomas d’A­quin, le saint, le théologien, le docteur commun de l’Église, a eu une doctrine phi­losophique propre ? N’est-ce pas lui faire injure que de l’affirmer ? Toute son œuvre n’est-elle pas plutôt une méditation théo­logique ? 

Cette question donne l’occasion à notre auteur de faire une remarquable étude des rapports de la raison et de la foi et de conclure avec nuance : 

« Nous sommes, pour notre part, résolument op­posé à ce qu’il est – hélas – convenu d’ap­peler “augustinisme” (confusion de la phi­losophie et de la foi), ainsi qu’à un “séparatisme” brutal entre religion et philo­sophie. Nous admettons… les “confortations subjectives” (au sens étymo­logique) de la philosophie par la foi et la théologie (l’expression est de J. Maritain). 

Mais peut-être conviendrait-il de marquer davantage l’autonomie de la recherche philosophique » (page 35). Après cette bonne entrée en matière, le plan de l’ouvrage, avouons-le, devient dé­concertant et même décevant pour un thomiste averti. 

Notre auteur croit bon, en effet, de commencer son étude par la ques­tion de « la valeur et de la nature de la connaissance ». Serait-il tombé dans le piège de la problématique idéaliste ? Aurait-il été influencé malgré lui par l’ennemi qu’il combattait ? Car poser comme point de départ de la philosophie la critique de la connaissance, c’est dire que la connaissance de sa propre pensée est, chez l’homme, antérieure à sa connaissance du réel ; c’est jeter un doute (au moins mé­thodique) sur la capacité de l’intelligence et prétendre que la pensée elle-même peut s’en délivrer ; c’est suspendre tout l’édifice de la connaissance humaine à « l’idée » considérée en elle-même ; c’est s’enfermer dans un cercle vicieux et, en définitive, nier la priorité du réel sur la pensée. 

     Qu’on se rassure, Louis Jugnet est du thomisme le plus fidèle et le plus clair­voyant. Ne nous arrêtons pas à la table des matières, ouvrons le livre et laissons-le s’expliquer : « Nous reconnaissons bien volontiers que la critique de la connaissance ne de­vrait pas venir, en bonne scolastique, au début d’un exposé d’ensemble. Étant une connaissance réflexive (au sens large), elle suppose un savoir déjà constitué, (…) elle est une métaphysique défensive, comme l’apologétique est une théologie défensive et justificative » (page 40). Elle doit donc venir après la métaphysique. Pourquoi s’être donc écarté de l’ordre traditionnel ? C’est que notre auteur vou­lait faire œuvre de philosophe en toute sé­rénité. Il voulait écarter d’un trait les ob­jections et les malentendus qui naissent dans les esprits modernes. Il voulait se dé­barrasser dès le début des sophismes qui empoisonnent la vie intellectuelle. « Beaucoup de nos lecteurs n’eussent accordé qu’une attention curieuse peut-être, mais pleine de suspicions, à nos constructions spéculatives » (page 40). 

     On le voit, c’est parce qu’il est un maître qui éduque (ou rééduque) que l’auteur se per­met cette audace, tandis que le professeur dans un cours magistral n’aurait pas pu le faire. Il veut répondre aux préjugés idéa­listes une bonne fois pour toutes et ne plus y revenir. Sa méthode est une thérapie. Cette mise au point critique étant faite, l’auteur peut conduire son élève avec sécurité dans les grands thèmes de la philo­sophie. Quelle route choisir ? Celle de l’être, tout simplement. 

     L’auteur résume en effet en un mot la sagesse thomiste : « S’il fallait récapituler d’un mot l’ensemble de cet ex­posé systématique, de cette mise en valeur de la pensée thomiste, nous le ferions vo­lontiers en disant que, pour nous, si le thomisme présente pour la pensée un inté­rêt privilégié, c’est qu’il est vrai pour l’essen­tiel » (page 205). Vrai, donc conforme au réel ; vrai, parce qu’il ne prétend pas être autre chose qu’une lecture du réel, une lec­ture de l’être. 

     C’est donc au réel qu’il re­vient de guider notre démarche. — Le premier être qui se présente à notre expérience est la réalité physique. D’où une première étude sur la philoso­phie de la nature. Les êtres matériels, le vi­vant, l’homme composé d’âme et de corps. — La connaissance du concret existant donne à l’intelligence le désir de s’élever plus haut. Elle veut découvrir l’être en tant que tel (qu’est-ce qu’« exister »?), les lois intimes de l’être. Au-delà de la philosophie de la nature vient donc la métaphysique. — Au sommet de l’échelle des êtres, se trouve la cause de tout être, l’Être qui ne peut pas ne pas être, l’Être absolu, le Réel, Dieu. Au sommet de la métaphysique ap­paraît donc la théologie naturelle : qu’est-ce que Dieu ? Existe-t-il ? Que peut-on en connaître ? — De ce sommet, il nous faut revenir à l’homme dans son rapport avec Dieu, dans son mouvement vers Dieu. C’est la morale, la politique. Cette vaste fresque a l’allure d’un voyage à la découverte de l’être, du réel, avec ses pièges, les embuscades des enne­mis, les fausses pistes à éviter. 

Chaque fois ce sont les problèmes les plus épineux qui sont abordés et résolus avec sûreté. L’auteur nous avait prévenus avant de commencer : « La fidélité à des principes et à une orthodoxie constitue, qu’on veuille bien nous croire – et surtout dans le monde actuel –, la source la plus intaris­sable d’aventures de tout genre, de pro­blèmes complexes et pénibles, sans mono­tonie ni conformisme stérile » (page 37). L’actualité Un dernier trait de cette synthèse thomiste achèvera de nous séduire et nous stimulera au travail, c’est son actualité. Cela ressort encore de la tournure person­nelle de l’ouvrage. Comme un père doit prémunir son fils contre les dangers de la vie, Louis Jugnet place son lecteur devant les grands problèmes de notre temps : Rai­son et foi – le scepticisme – l’idéalisme – science et philosophie – la constitution de la matière – l’existence de Dieu – la liberté – bonheur et plaisir – la conscience – le régime politique… Il révèle alors, dans ces circonstances, un autre trait de son caractère, à savoir une âme de soldat. Il est un véritable chef de guerre, un « thomiste de combat [2] ». 

     Comme son maître saint Thomas, au­cune objection ne l’effraie, aucune opposi­tion ne le rebute. Il est tellement pris par la vérité qu’il la sait capable de réduire à néant toute erreur et reste tranquillement assis sur le roc. 


     Voyons, par exemple, comment il at­taque de front la trilogie maçonnique et ré­volutionnaire « Liberté, égalité, fraternité ». 

La liberté, pour lui (saint Thomas), n’est que la possibilité pour l’homme d’exercer son activité en vue du bien, et non le droit de faire n’importe quoi à condition qu’on ne perturbe pas (dit-on) le corps social.

L’égalité, pour lui, est celle des en­fants de Dieu… et non un idéal ato­mique et numérique d’assimilation, où n’importe qui ferait n’importe quoi n’importe comment. 

La fraternité, c’est pour lui l’amour de Dieu d’abord; et ensuite, du pro­chain pour Dieu, avec le respect de la vérité et de ses droits, non une folle embrassade sentimentale qui confond l’assassin et la victime, le saint et le souteneur, le oui et le non, quitte à exterminer, en un élan philanthro­pique, quiconque ne conçoit pas ainsi l’amour du genre humain (pages 202-203). 


     Concluons par une mise en garde : ce livre n’est ni un roman, ni un article de journal, ni une bande dessinée. C’est un outil de travail. Pour l’homme toujours pressé, ou avide de « culture » médiatique, il vaut mieux s’abstenir. En revanche, celui qui n’a pas peur de l’effort, qui est résolu à se mettre à l’école d’un maître et, par lui, à se laisser imprégner de la sagesse thomiste, celui-là ne sera pas déçu. Qu’il se mette à son bureau, crayon en main si possible. Qu’il ne se décourage pas à la première difficulté, qu’il n’hésite pas à relire, à réserver pour plus tard tel passage plus obscur. C’est le prix de cette « saine et robuste philosophie » que lui promet l’au­teur (page 8). Dominicus Louis Jugnet, La Pensée de saint Thomas, Paris, NEL, 1999, 244 p.


[1] — Cette précision n’est pas donnée dans le livre, mais Jean Madiran le dit dans sa recension parue dans Présent du 18 mars 2000. [2] — C'est ainsi que l’appelait Pierre Mesnard dans un article paru dans la France catholique du 19 février 1954. Publié dans Les cahiers de Louis Jugnet I.






Catholicisme, foi et problème religieux par Louis Jugnet


Cette étude de Louis Jugnet est datée par l’auteur du dimanche de la Passion, 1948. Elle a été publiée pour la première fois en 1951, et deux fois rééditée depuis [1]

Nous avons entrepris cette nouvelle publication pour répondre à un vœu de M. l’abbé Alain Lorans, vœu qu’il exprimait dans une conférence donnée en août 2007, à l’école Sainte-Marie de Saint-Père-Marc-en-Poulet, lors de la 2e université d’été d’apologétique qui avait pour thème : « Dieu ou l’absurdité radicale ? ». 

« [Louis Jugnet] est l’auteur d’un opuscule très éclairant sur l’apologétique, Catholicisme, foi et problème religieux, réédité en 1975 par une maison d’édition qui malheureusement n’existe plus, Nouvelle Aurore. S’il est permis d’émettre un vœu au terme de cette université d’été, j’aimerais beaucoup qu’en dehors de nos sessions estivales soit entrepris un travail de réédition de textes, et, parmi ces textes, je verrais bien cette brochure, Catholicisme, foi et problème religieux. 

Son auteur le mérite ; il n’était pas un philosophe cérébral, c’était avant tout un professeur qui avait l’amour des idées, et la passion de ses étudiants. Louis Jugnet propose dans cette étude de moins de cent pages une approche originale de l’apologétique, et même d’apparence paradoxale. En effet, il nous dit que la meilleure défense du catholicisme, c’est son dogme. 

C’est de présenter le dogme catholique et de faire connaître la vérité révélée. Cela paraît bien étrange parce qu’une telle affirmation semble faire fi de toute l’approche rationnelle qui caractérise l’apologétique. Il faudrait mettre directement l’intelligence de l’interlocuteur qui veut découvrir la foi en contact avec la vérité révélée, une vérité mystérieuse pour la raison humaine qu’elle dépasse. Et ce serait la meilleure façon de défendre le catholicisme vis-à-vis de ceux qui doutent de son bien-fondé ! Ainsi tout ce que nous avons fait patiemment au cours des onze conférences précédentes, à savoir la démonstration rationnelle de l’existence de Dieu, est comme balayé d’un revers de main. « A quoi cela a-t-il servi ? », se demande-t-on. Et pourtant on pressent que Jugnet a peut-être raison d’un certain point de vue [2]. » 

Sur l’auteur, nous renvoyons nos lecteurs au dossier paru dans Le Sel de la terre 47 (hiver 2003-2004). Le Sel de la terre.

I – Urgence du problème 

II – Comment le traiter 

III – Notions fondamentales 

IV - L’attitude rationaliste 

V – Raison et foi 

VI – Nature de la foi 

VII – Point de vue adopté 

VIII – La synthèse catholique 

IX – Deux objections

Conclusion Appendices 

I – Quelques témoignages intéressants 

II – Rôle du doute en matière religieuse Index des ouvrages cités 


* Avertissement de la seconde édition 

     Bien des témoignages, émanant de personnes d’âges très divers et de milieux sociaux ou doctrinaux très différents, nous ont montré que, grâce à Dieu, cet opuscule, édité en 1951, pouvait faire du bien. L’éditeur a eu l’obligeance de nous offrir de reproduire ce texte datant d’il y a vingt ans bientôt, et nous l’en remercions ici bien sincèrement. Nous n’avons ni le temps, ni le désir, de modifier profondément ce que nous avions écrit alors. Tout au plus le rendrions-nous plus sévère encore à l’égard de certaines erreurs, qui font actuellement, dans l’Église et ailleurs, les ravages que l’on sait. Cependant, nous avons jugé utile d’ajouter quelques citations à l’appui de nos dires. […] Puissent Dieu, sa Mère (qu’on prie de moins en moins) et ses anges (auxquels on ne croit plus) aider le lecteur à tirer le plus de profit possible de cette lecture ! Louis Jugnet, décembre 1969 [3] 


I – Urgence du problème 


     Il est normal, naturel et même nécessaire que chacun d’entre nous s’interroge, un jour ou l’autre, sur le sens de la destinée. Refuser ce problème, c’est méconnaître toutes les aspirations intelligentes de la nature humaine, et se comporter comme l’animal qui mange, boit, se reproduit, se bat et s’enfuit, sans vue d’ensemble de la vie. Mais ce qui serait naturel chez un animal est un non-sens chez un être doué de raison.

 Au surplus ce ne serait un bon calcul, utilitairement parlant, que si nous pouvions gouverner notre vie comme nous le désirons, sans rencontrer le mal et la désillusion. Or, personne n’est dans ce cas ; surtout dans la période que nous traversons (et traverserons) nul ne peut croire éviter les deuils, les privations, les violences, les catastrophes de toute sorte. Si même celles-ci étaient écartées, si la guerre (civile ou étrangère) disparaissait de la surface du globe – allons plus loin – si une organisation sociale et économique parfaite était établie partout (?), il resterait encore les maladies et surtout la mort elle-même que la science pourra peut-être retarder ou raréfier, mais certainement pas supprimer totalement (on ne voit pas comment l’animal humain deviendrait immortel par des moyens purement naturels), il resterait les défauts de caractère, les incompréhensions, les mauvais sentiments (haine, orgueil, etc.). Seules une extrême jeunesse, une santé florissante, jointes à la fortune et à un certain manque d’intelligence, pourraient expliquer (sans la justifier) l’indifférence à l’égard de ces problèmes. Il n’y a pas, contrairement à ce que croient certains, que des chrétiens pour l’avoir dit. Écoutons plutôt un philosophe incroyant, Albert Camus, dont La Peste symbolise le mal en général : Sa réaction fut celle de la plupart de nos concitoyens : les fléaux, en effet, sont une chose commune, mais on croit difficilement aux fléaux lorsqu’ils vous tombent sur la tête. 

Il y a, dans le monde, autant de pestes que de guerres. Et pourtant, pestes et guerres trouvent les gens toujours aussi dépourvus… Quand une guerre éclate, les gens disent : « Ça ne durera pas, c’est trop bête. » Et sans doute la guerre est certainement trop bête, mais cela ne l’empêche pas de durer… nos concitoyens étaient humanistes : ils ne croyaient pas aux fléaux ; le fléau n’est pas à la mesure de l’homme, on se dit donc que le fléau est un mauvais rêve qui va passer. Mais il ne passe pas toujours, et, de mauvais rêve en mauvais rêve, ce sont les hommes qui passent, et les humanistes en premier lieu, parce qu’ils n’ont pas pris leurs précautions [4]


II – Comment le traiter 

     Non seulement l’homme ne peut pas éviter le problème de la destinée, mais, s’il accepte de l’envisager, il ne peut se contenter de conjectures, de simples hypothèses : il lui faut une solution cohérente, non un amas d’éléments sans liens les uns avec les autres.

Et il faut que cette théorie cohérente soit vraie [5] ; on ne saurait admettre la thèse de l’« illusion bienfaisante » de certains philosophes, car elle manifeste un singulier mépris des droits de la vérité (sans compter qu’on voit mal comment l’homme pourrait « miser » à fond sur une théorie qu’il saurait illusoire…). L’homme moderne n’a plus gardé que les apparences d’un homme véritable. Par là même, il est devenu stérile, rongé, dévoré par l’esprit de critique, de négation absolue. Cet homme exsangue et stérile qui se borne à nier, ne peut continuer longtemps : on ne vit pas de négations. Or l’homme veut vivre. La poussée vitale est plus forte en lui que toute cette froide philosophie. Il crie de toutes ses forces vers la vie, la vie pleine, entière, personnelle. Il est las de nier. Il veut pouvoir affirmer. L’action, la vie, ont besoin d’affirmations nettes, de positions franches et hardies [6]

Ce n’est certainement pas la science qui nous donnera la clef du problème de la destinée. Les vrais savants, quand on les interroge, sont infiniment plus réservés que les vulgarisateurs matérialistes ; ils nous disent en substance ceci : la science expérimentale, et notamment sa forme la plus évoluée, la physique, recherche les lois, c’est-à-dire les rapports entre les phénomènes. Elle laisse de côté tout ce qui pourrait concerner la nature intime, l’origine ultime des choses (le grand public fait, à ce sujet, un contresens énorme sur la portée et la signification véritable des recherches atomiques ou des théories de l’évolution, mais on comprendra que nous ne puissions ici qu’esquisser la question). 

Les grandes théories élaborées par la science ne visent pas à constituer une sorte de métaphysique ; elles visent à stimuler la recherche, à unifier les lois, à les coordonner. Elles ne sont jamais définitives : comme le dit un savant, M. Humbert, « la science ne contient que des hypothèses et non des dogmes ». Cet avis est partagé par de nombreux savants, d’opinions très variables d’ailleurs : Duhem, Poincaré, Bouasse, Urbain, Ernst, Leclerc du Sablon, Cabanne, Renoirte, Vernadsky, Milhaud, Dirac, etc. Demanderons-nous à la philosophie, c’est-à-dire une étude du réel dépassant les sciences particulières, mais ne faisant cependant appel qu’à l’expérience et à la raison naturelle, de résoudre le problème ? La philosophie aurait-elle remplacé la religion ? Nous pensons que la philosophie possède une consistance propre et qu’elle peut atteindre un certain nombre de vérités. 

Nous y avons même insisté jusqu’à l’obsession, en de nombreuses notes dirigées contre le positivisme et le relativisme sous toutes leurs formes.

Mais nous estimons que la philosophie ne saurait remplacer l’activité religieuse de l’esprit humain. D’abord, parce que la majorité des hommes manquent des loisirs et de l’aptitude à l’abstraction qui sont indispensables pour faire de la métaphysique. Ensuite, parce que la philosophie reste en grande partie un travail individuel, une œuvre de cabinet, alors que l’homme est un animal social, dont la religion (phénomène naturellement collectif) est une activité fondamentale. Enfin, et surtout, parce que la philosophie ne nous ouvre sur les plus hauts problèmes (le mal, Dieu, etc.) qu’un horizon extrêmement limité. Par exemple, toutes les explications de la métaphysique au sujet du mal sont utiles, et de nature à dissiper bien des objections et des contresens. Mais, de toute évidence, elles ne nous satisfont pas au fond, laissant place à un véritable « mystère » du mal, qui nous fait déboucher en plein problème religieux. C’est pourquoi nous allons aborder celui-ci pour lui-même. Mais pourquoi l’incroyant envisagerait-il le catholicisme plutôt que le protestantisme, ou le judaïsme, ou même l’islamisme ? 

D’abord, nous n’empêchons pas le lecteur d’étudier les autres religions : personne ne saurait, en revanche, nous reprocher de défendre ce que nous croyons valable… Ensuite, peut-être, comme le faisait remarquer un apologiste moderne dont nous parlerons plus loin, le catholicisme mérite-t-il à divers titres de retenir notre attention préférentielle. En premier lieu, parce qu’il est la religion parmi laquelle la plupart d’entre nous ont été élevés, qu’ils aient ensuite persévéré ou qu’ils s’en soient détachés. Puis, surtout, il présente des caractères doctrinaux assez frappants : sa netteté doctrinale, son goût des précisions dogmatiques et des définitions font de lui, si l’on peut dire, une matière plus facile à étudier (malgré la complexité de sa théologie) que telle religion plus ou moins évanescente et variable d’un groupe, pour ne pas dire d’un croyant, à l’autre… 

Renan a eu au moins le mérite de le reconnaître, et de proclamer en un texte sur lequel nous reviendrons, car il est bon d’y insister que « le catholicisme est la plus caractéristique et la plus religieuse des religions ». Ne soyons donc pas de ces esprits superficiels et prétentieux qui, armés de quelques articles de revue, ouvrages de vulgarisation et manuels élémentaires, croient pouvoir traiter de haut en bas, comme « bonne pour les petits enfants et les vieilles femmes », une religion dont ils ignorent en fait toute l’armature doctrinale, et qui a rallié et rallie encore des esprits de tout premier plan (exemple : le cardinal Franzelin [7], théologien réputé, qui eut un grand rôle au concile du Vatican [8] , était très versé dans les langues orientales (hébreu, araméen, etc.) parlait sept langues vivantes et possédait qualités et connaissances profondes en littérature, en philosophie, en physique). Ceci ne suffit évidemment pas à prouver que le catholicisme soit vrai, mais doit interdire à son égard le mépris a priori

Mais on nous fera une objection préjudicielle : Vous êtes catholique, donc de parti pris, vous manquez d’objectivité comme tous vos pareils, et vous n’êtes pas capable de partir d’un terrain neutre, celui de la raison. Vous partez tout équipé de votre système, pour ainsi dire ; vous savez où vous allez. Pour être répandue, cette objection ne nous paraît pas moins inefficace. Elle nous semble reposer sur de grosses illusions. Expliquons-nous : Que M. Untel veuille aboutir à tel ou tel résultat, justifier ceci ou cela, intéresse le psychologue ou le biographe. Mais cela ne préjuge en rien de la valeur des éléments utilisés (point de vue du logicien). Ceux-ci sont-ils fondés sur des données solides ? Sont-ils cohérents ? Voilà ce qui importe, et non la couleur de la robe de M. Untel… Qu’on réponde donc à celui-ci, au lieu de le disqualifier sans discussion… 

Au surplus, se figure-t-on que l’adversaire ne soit pas mû par une pensée nettement orientée ? Un Strauss, un Renan, un Loisy n’ont-ils donc pas une vue synthétique des choses que leur inspire leur recherche [9]

Nous partirons donc effectivement d’un ensemble doctrinal catholique, comme d’autres partent d’une mentalité hégélienne ou barthienne (pourquoi aurions-nous moins de droits qu’eux ?). Ce qui ne veut pas dire que nous refusions de le discuter et de le justifier : on s’en apercevra plus loin, lors de la discussion détaillée du rationalisme moderne, et de notre exposé de la riche apologétique de Henri de Tourville. 


III – Notions fondamentales 

     Pour la clarté de notre travail, nous commencerons par exposer certaines notions-clefs du catholicisme (surnaturel, mystères, Révélation, dogme, grâce, foi), quitte à montrer ensuite de façon plus précise et plus concrète quels services nous rendent ces notions dans l’étude du problème de la destinée. Par surnaturel, la théologie catholique entend : un type de réalité qui dépasse les forces, les exigences, et même les conceptions naturelles de toute créature. Donc, surnaturel n’est nullement synonyme de spirituel ou immatériel. Par exemple : l’âme n’est pas surnaturelle, bien qu’elle soit immatérielle, puisqu’elle fait partie de la nature humaine à titre d’élément essentiel. Il y a même, en philosophie, une étude purement rationnelle de Dieu comme cause première du monde. Mais le surnaturel, c’est ce qui concerne Dieu en lui-même, directement, tel qu’il est, du dedans pour ainsi dire. Nous n’en pourrions donc rien connaître, rien savoir, sans une Révélation, par laquelle Dieu se manifeste directement à nous (Écriture sainte, Tradition apostolique). Nous comprenons donc pourquoi nous ne pouvons avoir de connaissance mathématiquement évidente, ni exhaustive, ni adéquate du surnaturel, puisqu’il s’agit d’un ordre de réalité qui dépasse nos capacités, et plus simplement encore parce que nous sommes des intelligences finies, limitées, incapables d’épuiser même la plus simple idée philosophique de Dieu. Il serait absurde de rejeter cette notion parce que nous ne pouvons avoir l’intuition du surnaturel ; car s’il en est ainsi, ce n’est pas parce que le surnaturel est absurde, c’est parce qu’il dépasse nos capacités naturelles. Nous verrons plus loin que nous pouvons cependant en acquérir une idée inadéquate et analogique, que nous ne sommes pas devant un néant de pensée. Aristote, qui était pourtant bien loin de penser au surnaturel chrétien, compare l’intelligence humaine à un hibou (nycticorax) aveuglé par la lumière et qui ne se trouve au clair que la nuit, c’est-à-dire dans le monde corporel et sensible [10]. Les mystères par lesquels se traduit le surnaturel sont donc au-dessus de la raison humaine et non contre la raison tout court, ce qui est tout différent. Si on donne à un enfant de cinq ans un traité d’algèbre, il dira n’y voir que gribouillage inintelligible. Et pourtant… Pour que le rationalisme (nous le prenons ici pour synonyme de négation libre-penseuse du surnaturel et non en tant que ce mot s’oppose à l’empirisme à propos de l’origine des idées) ait raison de rejeter la vérité, il faudrait que la raison humaine fût la raison absolue, qu’elle fût la mesure de la vérité, qu’elle fût infaillible et omnisciente. Or, l’expérience la plus courante nous montre que « nous ne savons le tout de rien », que nous nous trompons souvent. Au surplus, le rationalisme suppose l’athéisme, la négation du Dieu de la philosophie elle-même (car, autrement, notre raison ne serait pas la raison par excellence, et il pourrait y avoir des mystères). Mais la simple philosophie peut montrer l’existence d’une cause première [11]


IV - L’attitude rationaliste 

     En vérité (et nous revenons là à une idée que nous exposions un peu plus haut) le rationalisme n’est aucunement une position qui s’imposerait à la raison : il est une divinisation de la raison humaine, un « choix », une « foi » contre la foi catholique. En dehors de la position catholique sur ce point, il n’y a, à vrai dire, que le rationalisme. Il n’existe pas de « no man’s land » entre les deux [12]. Précisons, car certains théologiens catholiques pourraient ne pas aimer cette appellation de « foi » appliquée au rationalisme. 

Cette méfiance sera facilement dissipée par la mise au point suivante : en tant que catholique, nous ne prétendons évidemment pas mettre sur le même pied l’adhésion à la parole de Dieu sous l’action de la grâce (voir plus loin) et la divinisation illégitime de l’esprit humain. Nous voulons simplement dire que les rationalistes sont mal fondés à opposer le caractère d’option libre et l’absence d’évidence intrinsèque de la foi catholique à la soi-disant évidence scientifique de leurs constructions. Nous tenons ici à souligner un aspect capital, et généralement fort mal mis en valeur par les apologistes catholiques, de l’opposition entre le catholicisme et le rationalisme : le rationalisme part d’une pseudo évidence de clarté et de fécondité, mais aboutit vite à l’échec et à l’inintelligibilité, tandis que le catholicisme, partant d’une apparence de défi, aboutit au maximum constructif et explicatif vis-à-vis du problème humain. Échec du rationalisme : il est patent, avéré. Que reste-t-il des grandes constructions issues de la croyance en la toute-puissance de la raison humaine ? 

Faut-il souligner l’effondrement du spinozisme, pourtant grandiose à sa manière ? Et ce n’est pas un théologien catholique ni un métaphysicien scolastique, c’est un philosophe et savant libre-penseur, Enriques, qui parlait, il y a quelques années de la « démence hégélienne » dans la très officielle Revue de Métaphysique et de Morale. Et que reste-t-il des explications « rationnelles » du fait religieux ? Aucune n’arrive à s’imposer, toutes s’effondrent les unes sur les autres (animisme, sociologisme, etc.). Toute-puissante raison humaine, tu as vraiment beaucoup gagné à rejeter la théologie !… 

N’est-ce pas Dominique Parodi, rationaliste classique, qui à la suite d’un essai sur le problème de Dieu, et jugeant ses résultats, déclare : « Nous sommes dans l’impensable, l’incon­cevable, l’indéfinissable » ? Le rationalisme échoue : 1) — devant le fait religieux en général (personne d’informé ne croit plus aujourd’hui aux constructions de Voltaire, de Renan, de Durkheim, etc.) ; 

2) — devant le christianisme tout particulièrement, en ce qu’il a de spécifiquement distinct de la mentalité mythologique.

Aboutissement constructif du catholicisme : ce sera l’objet d’une grande partie de ce qui suivra. 

Pour le moment, soulignons que le rationalisme plonge ses racines dans des préférences irrationnelles, au sens strict du terme. Ne lisons-nous pas dans un roman antireligieux qui eut grand succès (bien à tort, selon nous, étant donné son extrême médiocrité intellectuelle et le caractère caricatural de sa psychologie), la déclaration suivante (elle émane, notons-le, d’un intellectuel libre-penseur) : Il m’est arrivé plus d’une fois d’être mis au pied du mur par des théologiens avertis et bien armés. 

Je ne trouvais le plus souvent, je l’avoue, pas grand chose à leur répondre, mais cela n’ébranlait en rien ma conviction [13]. Retenons que les penseurs catholiques sont gens plus redoutables par leur science et leur dialectique que ne le pense le vulgaire, mais surtout que le principe même du rationalisme est mis par les rationalistes au-dessus et en dehors de la discussion. C’est bien ce que nous disions précédemment. Aussi Roland Dalbiez critiquant un psychologue rationaliste, M. Baruzi, qui avait entièrement déformé la pensée de saint Jean de la Croix, pouvait dire : Un pareil résultat ne peut provenir que d’une poussée très forte de facteurs d’ordre affectif. Mais, m’objectera-t-on, vous venez de reprocher à l’adversaire un intellectualisme excessif ? Il n’y a là aucune contradiction. L’erreur, même celle qui consiste à exagérer le rôle de l’intelligence, n’a jamais pour cause l’intelli­gence mais toujours l’affectivité, en l’espèce, l’amour exagéré de l’activité intellectuelle. Le désir de savoir, la joie de connaître, l’orgueil d’avoir trouvé ne sont pas des actes de l’intelligence, mais de la volonté. Mal réglés, ces états affectifs peuvent peu à peu dérégler l’intelligence elle-même, le sentiment intellectuel corrode l’intelligence. L’intellectualisme exagéré a une psycho-genèse affective [14]. 



V – Raison et foi 

     On nous posera alors une question qui revient toujours dans les discussions, et qui est d’ailleurs très légitime et très importante : « Étant donné votre rejet du rationalisme, quels sont selon vous les rapports entre foi et raison ? Quel rôle le catholicisme reconnaît-il à la raison ? » La position catholique écarte à la fois le rationalisme et un « fidéisme » irrationaliste qui oppose foi et raison, piétine celle-ci, et lui refuse tout rôle en matière religieuse. Dans la perspective catholique, la raison intervient de multiples façons : 


1) — L’Église professe que la raison naturelle, philosophique, peut établir des vérités qu’on nomme præambula fidei : spiritualité de l’âme humaine, exis­tence d’une cause première, etc. (Il s’agit de la légitimité d’une telle démonstration contre le positivisme ou le relativisme kantien, non de l’efficacité psychologique, effective, de tel ou tel argument sur un esprit déformé ou imbu de préjugés variés). 

2) — Plus avant, la raison peut construire des arguments dits « motifs de crédibilité ». Ceux-ci ne donnent évidemment pas d’évidence du mystère lui-même, mais rendent le catholicisme légitimement croyable en tant que bloc. L’Église, notamment au [1er] concile du Vatican, a été très nette à ce sujet et le souverain pontife y insiste à deux reprises dans l’encyclique Humani generis (août 1950). Cependant, on peut penser que certains théologiens ont parfois tendance à outrer la pensée de l’Église en accordant trop à la démonstration apologétique, surtout depuis le 18e siècle et le 19e siècle (par suite des controverses avec l’Encyclopédie et le positivisme). 

La pensée des grands scolastiques, à commencer par saint Thomas d’Aquin, est plus nuancée que certains manuels modernes, qui s’en réclament pourtant, ne le donneraient à penser. (Pour le contenu de ces arguments, voir infra à propos de l’apologétique de Henri de Tourville.) 

3) — A l’intérieur de la foi elle-même, la raison intervient encore très utilement. Si elle ne peut démontrer le mystère (voir notion de surnaturel, plus haut), elle peut en revanche montrer que celui-ci n’est ni absurde, ni contradictoire, et ceci présente une très grande utilité apologétique, puisque la plupart des gens qui rejettent le catholicisme le font parce qu’ils trouvent absurdes les dogmes chrétiens (péché originel, incarnation, etc.). 

Utilisant des notions empruntées à cette philosophie grecque qu’un de ses adversaires, Bergson, appelle « la métaphysique naturelle de l’intelligence humaine », on peut montrer par exemple que le mystère de la Trinité n’est nullement contraire au principe d’identité (ou de contradiction). En effet, celui-ci nous apprend qu’une chose ne peut être en même temps elle-même et son opposé, sous le même rapport, c’est-à-dire au même point de vue. Or, il y a unité de nature (ou d’essence) en Dieu et trinité de personnes : Dieu est unité à un certain point de vue, et Trinité à un autre point de vue. La raison humaine ne saurait épuiser le mystère. Mais elle ne se trouve pas devant un néant de pensée. Utilisant des notions philosophiques (exemple : nature et personne pour la Trinité et l’incarnation, substance et accident pour l’eucharistie, etc.), elle peut donner une analyse analogique, inexhaustive, mais pas fausse, et parfois très riche et suggestive, du mystère considéré. Nous ne connaissons pas le détail des intentions divines. Cependant, nous pouvons donner des arguments de conve­nance, plus ou moins probants selon le cas, des agissements divins (exemple : le long délai entre la chute et la rédemption). 

4) — Les dogmes de foi nous sont livrés dans la Révélation à l’état brut, en quelque sorte comme des blocs erratiques. La raison théologique les coordonnera, les hiérarchisera dans les rapports logiques de principe et de conséquence, etc. 

5) — Enfin, partant des dogmes de foi comme de « majeures » (au sens où ce mot s’emploie à propos de la déduction syllogistique), la théologie, se servant d’une « mineure » rationnelle, c’est-à-dire d’une vérité philosophique bien établie, formulera des conclusions nouvelles (conclusio theologica) qui seront comme un hybride de foi et de raison. 


     Remarque : dans tout cela, il ne s’agit pas de « créer » ou d’« inventer » les dogmes « nouveaux » : la Révélation est close avec la mort du dernier Apôtre. Mais le passage du confus au distinct, de l’implicite à l’explicite, durera jusqu’à la fin des temps, grâce d’ailleurs au magistère de l’Église, et non à l’ini­tiative des théologiens comme tels. En outre, il ne faut pas confondre la systématisation théologique du dogme avec le dogme lui-même (par exemple, des théologiens catholiques peuvent construire de façon variée les mêmes vérités. 

Exemple : conciliation de la grâce avec la liberté dans le thomisme et le molinisme). Enfin, selon la thèse la plus commune, les « conclusions théologiques » catholiques ne peuvent être proposées comme dogme par l’Église, étant donné le rôle capital qu’y joue la mineure purement philosophique. Mais l’Église peut les proposer à notre adhésion à cause de leur connexion avec tel ou tel dogme. De tout ce qui précède, nous pouvons tirer une très importante conséquence concernant le problème des « conflits » entre foi et raison, foi et science. Il ne saurait, dans une telle perspective, exister de conflit véritable entre une foi qui vient immédiatement de Dieu (par la Révélation) et une raison qui, elle aussi, vient de Dieu, Créateur de la nature raisonnable de l’homme. 

Comment expliquer alors que, de fait, des heurts plus ou moins nombreux se soient produits au cours de l’histoire entre théologiens, savants et philosophes ? Par ceci qu’un savant n’est pas la science, qu’une hypothèse scientifique ou philosophique n’est pas la philosophie. Par conséquent, bien des soi-disant assertions « scientifiques » contre la foi catholique ne relèvent que d’une pseudo-philosophie scientiste, ou ne restent que des hypothèses de travail, sans portée dernière (voir p. 11-12). Il peut arriver aussi, quoique plus rarement, que des théologiens d’esprit rétrograde, présentent le dogme d’une manière particulièrement discutable, qui ne s’impose pas. Dans ces deux cas, le conflit n’est pas fondé. Les deux exemples qui obsèdent le plus le grand public sont l’affaire Galilée et la question de l’évolution. Nous n’avons évidemment pas le temps d’en traiter ici. Quelques mots, cependant. Dans l’affaire Galilée, ce sont les juges ecclésiastiques, pape compris, qui se sont trompés, mais : 

1) — Ceci n’engage pas l’infaillibilité du pape qui, contrairement à ce que se figurent beaucoup de gens, ne porte pas sur tous les actes pontificaux. 

2) — La question était horriblement complexe, ce qu’ignore le grand public, car elle engageait, outre la question astronomique, des conflits d’écoles scientifiques rivales, des problèmes d’exégèse (interprétation de la Bible) et de théologie (rédemption, etc.). Un penseur incroyant, M. Koyré, après plusieurs autres, reconnaissait dans un cours récent et très documenté, professé à l’École des Hautes-Études religieuses, qu’il était tout à fait illégitime d’en tirer les conclusions qu’en tire avec aigreur la libre-pensée. Pour l’évolution, voir plus loin sur le péché originel. 


VI – Nature de la foi 

     La foi, portant sur le surnaturel et le mystère (voir p. 40-41), ne nous fait donc pas voir ce que nous croyons. Débouchant sur un ordre de réalité sans commune mesure avec ce que la créature peut concevoir et désirer, engageant toute une attitude morale, une « conversion » au sens étymologique (même chez le fidèle), elle requiert l’intervention de la volonté et une inclination vers le révélé, ceci sous l’action d’un secours surnaturel appelé « grâce ». Le catholicisme maintient simultanément : 

1) — que la foi est une adhésion de l’intelligence et non un élan aveugle du subconscient (voir le serment anti-moderniste imposé par Pie X à tous les aspirants au sacerdoce et à tous les professeurs catholiques d’enseignement supérieur) ; 

2) — qu’il y faut cependant une intervention de la volonté, qui déclenche l’adhésion et qui maintient la persévérance dans la foi à travers les difficultés éventuelles (voir appendice II sur le rôle du doute en matière religieuse) ; 

3) — que la foi, étant une adhésion au surnaturel, est une lumière d’en-haut (infuse). La conciliation, la mise en ordre systématique de ces trois facteurs, donne lieu à ce qu’on nomme précisément « l’analyse de la foi » (analysis fidei) qui est un problème très délicat, et auquel diverses solutions ont été données par les théologiens les plus marquants de diverses écoles et de divers tours d’esprit. Nous n’avons pas ici à exposer un problème dont la simple esquisse nécessiterait toute une note à part. Qu’il nous suffise de remarquer qu’aucun théologien catholique ne fonde à proprement parler la foi sur les motifs de crédibilité articulés par la raison. On ne donne à ceux-ci qu’un rôle de dispositif instrumental et auxiliaire, vis-à-vis de la lumière surnaturelle (foi infuse). 

     Ceci posé, quels sont les motifs de crédibilité à considérer ? Il y en a un certain nombre qu’on trouvera exposés dans les manuels d’apologétique. Citons, notamment, les arguments classiques tirés des miracles du Christ et des prophéties de l’Écriture, et dont le concile du Vatican a maintenu la valeur (ce qui, d’ailleurs, ne justifie ni le rôle exorbitant que certains théologiens d’esprit un peu rationaliste veulent leur donner, ni la présentation parfois insuffisamment convaincante que leur donne tel ou tel manuel. On l’oublie parfois…). En tout cas, tout en reconnaissant formellement, avec l’Église, la valeur des motifs ci-dessus évoqués, nous nous proposerons une autre voie, pour des raisons psychologiques et pédagogiques. L’Église a souligné – précisément au concile du Vatican – un autre argument fondamental et global, qu’on nomme le « fait de l’Église ». Il s’agit des caractères fondamentaux de la religion catholique, de sa permanence, de son unité, de son indestructibilité par les persécutions sanglantes comme par les tentatives intérieures de dissolution, et des fruits de sainteté morale et spirituelle qu’elle a engendrés et engendre auprès d’une foule de gens. Cet argument d’un maniement immédiat et souvent frappant, n’est pas suspendu à des querelles d’érudition et peut fournir dans celles-ci un fil directeur : il est en quelque sorte polyvalent, et peut donner lieu à des démonstrations variées. Celle à laquelle nous nous rattacherons pour notre part, et que trop de traités classiques passent sous silence ou presque, a été l’objet d’une très remarquable tentative de l’abbé Henri de Tourville et de son ami et disciple, l’abbé Picard, aumônier du lycée Louis-le-Grand. 

Henri de Tourville est plus connu comme sociologue (et comme sociologue assez contestable, à notre avis, à tendances individualistes et libérales) que comme apologiste. C’est regrettable, car dans divers ouvrages, notamment : Lumière et vie [15], il a posé les fondements d’une excellente apologétique catholique. Sans doute, son mode d’expression n’est pas parfait, et se ressent de l’ambiance positiviste de son époque (« scientifique », « expérimental », etc., reviennent souvent, parfois sans assez de nuance, sous sa plume). En outre, certaines façons d’argumenter nous semblent peu probantes. Nous nous contenterons plutôt d’en retenir l’idée directrice, quitte à la développer à notre manière [16]


VII – Point de vue adopté 

     Nous partirons donc de la doctrine catholique, et ceci suffira, d’un point de vue méthodologique, pour situer notre procédé. 

Notre analyse (ou notre synthèse) ne sera pas d’ordre historique, partant de l’ancien Testament pour aboutir à l’Église du 20e siècle. Elle ne se confondra pas davantage, insistons-y, la question étant importante, avec ce qu’on nomme la méthode d’immanence (Laberthonnière, Blondel, etc.), qui consiste à partir des aspirations humaines envisagées plus ou moins confusément pour aboutir à l’idée chrétienne. Cette méthode, qui peut rendre service comme préparation psychologique, est insuffisante et dangereuse. Insuffisante, puisqu’elle risque de n’aboutir qu’à une notion assez vague de la religion, et dangereuse par là même, puisqu’elle risque, ou bien de rester en deçà du catholicisme pris dans son intégralité, ou bien de déboucher sur lui par quelque artifice de présentation, mais en supprimant la gratuité et la transcendance du surnaturel, d’en faire une exigence de la nature humaine, ce qui est hétérodoxe et a été condamné à plusieurs reprises par l’Église. Notre méthode est juste l’inverse de la méthode d’immanence ; puisque celle-ci est ascendante, [partant] de l’homme [pour monter] au catholicisme, tandis que nous allons de façon descendante, [partant] du catholicisme pris dans son intégralité orthodoxe et considéré alors par le croyant en quête de confirmation rationnelle, comme une certitude surnaturelle, ou par l’incroyant sincère et en quête de vérité, comme une hypothèse directrice à envisager objectivement [17]. 

Comme nous le disions tout au début de cette note, certains problèmes se posent inéluctablement à l’homme qui ne veut pas s’aveugler. D’où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ? Pourquoi souffrons-nous ? Cer­taines formes d’existentialisme (Sartre, Camus), répondent que le monde est absurde, n’a pas de sens, et sont enclins à un désespoir qui essaie de se masquer sous la lutte ou l’action sociale. Cette solution de néant, l’esprit humain ne peut l’accepter. Elle implique, comme le scepticisme des sophistes grecs (Protagoras), une contradiction radicale. Elle est purement négative. Non seulement le catholicisme, mais la philosophie en ses plus grands noms, estiment que le réel est fondamentalement intelligible, que l’intelligence peut chercher utilement à en déchiffrer la signification. Des penseurs aussi différents que Platon, Aristote, Descartes, Leibniz, Spinoza, ou même Bergson (ce dernier malgré son anti-intellectualisme, et le primat donné à une très équivoque « intuition »), estiment que le monde et la destinée veulent dire quelque chose. Mais aucune philosophie n’arrive à « encadrer » parfaitement le tout de l’homme et de son destin. Quelles sont alors les réponses catholiques (rappelons ici que nous avons expliqué précédemment pourquoi nous examinions ici le catholicisme plutôt qu’une autre religion) ? 


VIII – La synthèse catholique 

     La biologie moderne présente à ce sujet un certain nombre d’hypothèses. Mais, par la bouche de ses représentants les plus autorisés, même partisans convaincus du transformisme le plus avancé, elle avoue fréquemment ne pas pouvoir donner, même dans le futur (manque de fossiles pour les organismes initiaux, etc.) de réponses décisives. Nous avons pris un malin plaisir, pour justifier cette assertion dans un long article consacré à ces problèmes, à ne citer que des évolutionnistes avancés [18]. La Révélation biblique nous donne, en des récits qui ne prétendent pas être d’ailleurs des exposés d’astronomie ou de biologie scientifique, une réponse ferme à ces problèmes ; elle nous dit que le monde a été créé par Dieu, et une saine philosophie montre le bien fondé de la notion même de création (n’importe quel manuel de philosophie scolastique bien fait en persuadera le lecteur non prévenu). Elle nous dit particulièrement que Dieu a créé l’homme, libre et intelligent, « à son image ». Sans doute, les récits de la Genèse comportent-ils en quelque sorte une manière familière et populaire de parler, et des emprunts littéraires aux cosmogonies orientales. 

Mais l’Église et en particulier les décisions de la Commission Biblique ainsi que l’encyclique Humani Generis impliquent la réalité d’un certain nombre d’éléments fondamentaux concernant l’origine de l’homme, le péché originel, etc. Encore cette question est-elle d’un intérêt surtout intellectuel, spéculatif. L’homme moyen pourrait dire : même si tout cela est vrai, ça s’est passé il y a très longtemps, ça ne me regarde pratiquement pas. Or, la Révélation nous regarde au contraire beaucoup, puisqu’elle va donner une signification à notre vie la plus concrète, la plus quotidienne, à nos souffrances (qui nous frappent tellement ; problème du mal), à nos efforts. C’est ici qu’intervient le dogme du péché originel. Quelques remarques à son sujet : D’abord, la raison ne peut rien contre lui, les objections courantes reposent sur des contresens variés (on confond ineptement le péché originel avec la vie sexuelle, on reproche à Dieu de nous tenir responsables de ce que nous n’avons pas fait, etc.). Or, tout ceci est un tissu d’inexactitudes. Tout d’abord, le péché originel ne fut pas un acte sexuel : cette interprétation ridicule de la « pomme », qui excite la verve des orateurs de la libre-pensée, est en réalité l’œuvre d’hérétiques des premiers siècles (les gnostiques), non de l’Église catholique. On peut dire que l’accord est fait, aujourd’hui, à ce sujet, entre spécialistes croyants et incroyants. En outre, le reproche d’injustice est mal fondé : Dieu avait créé l’homme en ajoutant aux perfections relatives qui font partie de sa stricte nature (constitution organique, intelligence et volonté) des dons gratuits, « préternaturels » (immunité vis-à-vis de la souffrance, préservation de la mort, etc.), et des richesses d’ordre spirituel et surnaturel (grâce, vertus, lumières infuses, etc.). A la suite d’une épreuve dont la nature nous est mal connue, l’être humain pécha par orgueil et insubordination contre l’ordre providentiel. Dieu l’en punit alors, non en violant son être même, sa nature, mais en lui retirant les privilèges gratuits, non dus, non exigibles, dont il l’avait gratifié. Adam fut dès lors, comme le disent les théologiens, spoliatus in gratuitis. Mais, comme on ne perd pas l’amitié divine comme on perdrait un chapeau ou un masque, il en fut perturbé dans son équilibre même (vulneratus in natura ou in naturalibus) et notamment l’élément animal et passionnel fut dès lors mal soumis à la raison et à la volonté. 

     Le péché originel se manifeste donc, pour parler le langage scolastique, « matériellement » par la concupiscence (laquelle est bien plus que l’élan charnel ; elle englobe le désir de domination, l’orgueil, etc.), « formellement » par la perte de l’état d’intégrité, la privation de la justice originelle. Mais, dira-t-on, Dieu est injuste d’étendre cette culpabilité à tout le genre humain, à cause de la faute du seul Adam ? Qu’on réfléchisse bien : Adam pouvait être considéré à deux points de vue : en tant que personne individuelle, comme n’importe lequel d’entre nous, Pierre, Paul ou Judas. Et à ce titre, lui seul en portait le poids. Il pouvait au contraire être considéré dans sa nature (ces notions de métaphysique fondamentale, d’origine hellénique, sont aisément accessibles au sens commun et font partie de ce que Bergson lui-même nomme « la métaphysique naturelle de l’intelligence humaine »). Or, il était le seul représentant de la nature humaine, la « tête », le « chef » du genre humain, il était en quelque façon l’humanité elle-même personnifiée, il contenait potentiellement tous les hommes à venir, lui et sa femme ; ainsi il modifia le statut fondamental de l’humanité. De sorte que le péché originel, chez chacun d’entre nous, n’est pas une faute personnelle, mais un état de moindre perfection (la notion de péché est une notion analogique, elle englobe des choses assez disparates, et il faut faire les distinctions nécessaires). On trouve dans le domaine naturel lui-même des faits de solidarité qui font un peu penser à ce que nous venons de dire [19]

     Un grand théologien moderne, le cardinal Billot, parlait par exemple, dans son De peccato originali, d’une armée qui capitule en la personne de son général, ou des habitants actuels de la Savoie, qui sont Français en vertu d’une décision de leurs ancêtres [20]

Deux remarques s’imposent avant d’aller plus loin : l’une concerne le sens exact de l’enseignement traditionnel sur les origines humaines ; l’autre, la portée de la méthode même que nous employons présentement. 

1) — Un certain nombre de penseurs catholiques, de valeur d’ailleurs variable – ils vont de savants biologistes à des vulgarisateurs brouillons et peu informés – abandonnent allègrement beaucoup d’éléments de l’enseignement traditionnel concernant l’origine de l’homme, l’unité du premier couple humain (monogénisme), l’état premier de l’humanité, le péché originel et ses suites, etc. En fait, ils sont, suivant leur tempérament, intimidés ou séduits par ce que l’évolutionnisme intégral, la philosophie hégélienne et le mouvement scientifique et social moderne comportent de plus trouble et de plus discutable [21]

2) — Malgré son caractère non-contradictoire, pensable, la notion de péché originel reste un mystère. Cependant, même en restant mystérieuse, en soi, elle apporte une réponse au problème humain fondamental, comme l’ont très bien fait remarquer des convertis, comme Claudel, Chesterton, et Rivière. Écoutons plutôt ce dernier : Une condensation de l’inconnu, une condensation qui permet seulement d’y voir clair. L’inconnu fixé, afin d’éviter qu’il ne répande du vague sur tout le reste, pour qu’on sache où est la chose qu’on ne peut pas savoir comme les autres, et qu’ainsi, au lieu d’en recevoir de l’incertitude, on en subisse au contraire l’influence explicative… car… est-ce qu’on peut dire qu’on ne comprend pas ce sans quoi tout le reste vous paraît incompréhensible [22]

Nous nous en convaincrons encore bien davantage en abordant la suite de l’histoire religieuse de l’humanité ; nous voulons dire en arrivant au rôle du Christ rédempteur. Par lui, le genre humain se centre en quelque sorte. Ce qu’était Adam pour le mal, Jésus le sera, et combien plus efficacement, pour le bien. Le péché originel nous expliquait déjà pourquoi nous sommes un étrange mélange de bien et de mal. L’incarnation rédemptrice nous explique maintenant pourquoi Dieu a permis le péché originel lui-même : parce que l’huma­nité déchue, douloureuse et rachetée, est plus riche et, en un sens très réel, plus parfaite que l’humanité intègre, sans chute ni rédemption. C’est pourquoi la liturgie de la Semaine sainte chante : Felix culpa… heureuse faute qui nous a permis d’avoir un tel et si grand Rédempteur… 

La solidarité du genre humain dans le mal (péché originel) est donc combattue et dominée par une solidarité encore plus nette, et cette fois féconde et salvatrice, dans le bien, avec la théorie du Corps mystique ou [de la] communion des saints. Ce n’est pas là une simple image, une métaphore pieuse : l’ensemble des hommes forme vraiment comme un homme ; les prières, les souffrances, rien n’est perdu, tout sert, si ce n’est pas directement à notre individualité, c’est à d’autres hommes peut-être très éloignés dans le temps ou dans l’espace. 

Le sang versé dans un camp d’extermination, les larmes d’un pauvre enfant dans la nuit, l’angoisse du névropathe qui se mord les poings dans la déréliction, rien de tout cela qui ne rejaillisse en salut, en gloire et en bénédiction pour la destinée ultime du genre humain. Jésus a pris en un sens toutes nos douleurs sur lui. Il les a assumées, faites siennes [23]. Un roman récent, que la critique en mal de pornographie a un peu oublié, La Nuit de midi, de M. Hamon [24], met en scène un jeune juif qui entend la flagellation du Christ : Ce n’était pas possible…, il n’était pas possible qu’il y eut tous les cris des mères qui enfantent, tous les vagissements des nouveaux-nés, tous les sanglots des malades, tous les hurlements des blessés, tous les soupirs de ceux qui agonisent, toute la pluie des larmes, toute la mer des plaintes dans ce gémissement… Il n’était pas possible qu’il y eut la douleur infinie du monde, tout ce qui souffre et même ne peut pas souffrir, que tout l’infini fussent contenus dans un si peu de bruit, dans une petite bulle de plainte qui venait crever à la surface du silence, dans un soupir qui s’arrêtait, revenait comme le rythme du temps, dépassait le temps, en débordait, ne cessait plus… et que ce bruit si faible, si petit, ce gémissement clair et doux fût l’écho d’une telle douleur que nul ne pouvait la supporter. Car pourquoi parler de la mère qui se déchire, du malade qui geint, de l’agonisant qui anhèle. Non, ce n’était pas de la souffrance, c’était la douleur toute seule, nue dans le silence, la douleur pure et parfaite dans le silence de l’univers… 

Et il y a réciprocité : comme Jésus a assumé nos souffrances, nous assumons en un sens les siennes ; saint Paul dit fortement : « J’accomplis dans ma chair ce qui manque à la passion de Jésus-Christ. » Non certes que la passion du Christ soit incomplète, ou que ses mérites ne soient pas surabondants, mais nous sommes en quelque sorte ses membres, son prolongement. Par le pouvoir de Jésus, nous sommes réconciliés avec Dieu. Par la grâce, celui-ci habite en nous : là encore, ce n’est pas une métaphore, l’Écriture et les Pères parlent d’une véritable union, métaphysiquement réelle, d’une spéciale habitation de Dieu en nous, de ce Dieu Trinité dont la notion, nous l’avons vu, n’est en aucune façon contradictoire, mais en revanche, apporte à l’esprit humain une splendeur de contemplation, par son triple aspect de puissance, d’intelligence et d’amour, en lequel éclate ce qu’un philosophe incroyant, M. Baruzi, nommait avec respect : « Un magnifique donné révélé. » Durant notre vie, jalonnée de difficultés de toute nature, nous sommes soutenus par la vie cultuelle de l’Église, entée sur le Christ. 

Des signes sensibles, institués par Dieu, et productifs de grâce, sont là pour faire naître l’enfant à la vie divine, le confirmer dans les luttes de l’existence, pour faire de l’homme un ami de Dieu qui recevra en lui Jésus-Christ lui-même, en un accueil filial, fraternel et vital ; pour [lui] faire recouvrer la grâce avec la certitude du pardon et de l’ordre rétabli, au cas où les fautes l’auraient submergé ; pour hausser son union avec un être du sexe opposé jusqu’à un plan spirituel et sanctifiant ; et enfin pour l’appeler, s’il plaît à Dieu, à participer directement au sacerdoce de Jésus. 

Et quand, malade et vieilli, il sentira l’amertume le prendre, et les restes du péché le tarauder, un dernier sacrement viendra effacer les vieilles cicatrices, panser les dernières blessures, et le préparer à entrer dans la vie éternelle, avec l’espérance de voir un jour, avec des morts dont il n’aura été séparé que pour un temps, et les saints qui auront été ses amis et protecteurs, l’océan de perfection infinie en qui il saisira tout ce qui peut rassasier son intelligence et son amour à jamais, en attendant la restitution de la créature corporelle en son intégrité glorieuse. Jusqu’à présent, nous avons insisté surtout sur l’aspect spéculatif et doctrinal du catholicisme. 

Mais, il ne s’agit pas de géométrie, ni même de pure métaphysique rationnelle, il s’agit de doctrines qui engagent directement notre destinée, notre personnalité totale, en y comprenant nos aspirations volontaires et affectives les plus élevées. On peut ici faire remarquer combien le catholicisme, en sa complexité simple et en sa plénitude dépouillée (notions qui s’harmonisent parfaitement), donne de joie, d’équilibre et d’ordre à la vie humaine. Il ne faut pas confondre joie et plaisir : il y a des ivrognes malheureux au moment même où ils prennent leur plaisir et il y a une joie du martyr sur la croix ou sous la dent des fauves. Cette joie, elle éclate dans l’Écriture sainte, notamment dans les épîtres de saint Paul, dans les écrits des Pères de l’Église, dans les « Actes des martyrs » des premiers siècles, chez les saints : un saint François d’Assise, un saint curé d’Ars, par exemple, dans la liturgie de l’Église (LaetareGaudete… etc.), chez les convertis, comme Chesterton ou Claudel. Écoutons plutôt celui-ci : J’ai souvent entendu reprocher aux chrétiens d’un petit air supérieur que la raison de leur foi est la joie, la consolation qu’elle procure. Mais il me semble que nous ne pouvons trouver de meilleure justification, parce que c’est là un fait et non un raisonnement. La preuve du pain, c’est qu’il nourrit, la preuve du vin, c’est qu’il enivre, la preuve de la vérité, c’est la vie, et la preuve de la vie, c’est qu’elle fait vivre. Ce sont là des réalités substantielles contre lesquelles aucun argument n’a de prise [25]

On objectera peut-être que c’est là du pragmatisme (doctrine qui apprécie les doctrines en fonction de leur seule utilité pratique). A ceci nous répondrons deux choses : 

1) — Le pragmatisme nie l’idée de vérité, qu’il remplace par celle de commodité. Nous admettons la notion classique de la vérité. Mais précisément nous admettons que l’on peut en partie apprécier une doctrine morale et religieuse à ses résultats. Si c’est là du pragmatisme, il faut dire que l’Évangile est pragmatique : « Vous jugerez l’arbre à ses fruits. » C’est en réalité une induction : les bons fruits sont un effet, un signe de la vérité (au sens classique) de la doctrine, et c’est tout différent. 

2) — On remarquera que nous nous gardons bien de dissocier radicalement cet argument des considérations intellectuelles sur l’explication catholique de l’Univers. Si on ne considère que celles-ci, on aboutit à une sorte de géométrie sacrée, étrangère à notre vie réelle et quotidienne. Si on ne considère que l’aspect moral et pratique, on risque d’aboutir à un empirisme et à un sentimentalisme. En réalité, ces deux séries d’analyses sont solidaires : c’est parce que le catholicisme explique les choses, qu’il nous met en paix et écarte le désespoir. Seul le catholicisme donne un sens et une valeur, une signification et un prix à toute chose, même à l’échec apparemment le plus total. Une excellente illustration en est donnée dans Le Soulier de Satin de Claudel, trop souvent méconnu par les catholiques traditionnels alors que c’est l’écrivain catholique qui a la plus solide formation [26] doctrinale. Nous approchons du terme de cette étude, et nous espérons que chacun est maintenant à même d’en voir la signification. Saint Paul disait tout crûment : « Nous prêchons Jésus crucifié, scandale pour les juifs, folie pour les païens. » Et pourtant, l’Église parle du caractère légitimement croyable du catholicisme. Un apologiste moderne, le P. de Sinéty, déclarait sans ambages : « Le catholicisme est souverainement invraisemblable », voulant dire par là qu’il heurte beaucoup de nos instincts intellectuels, si l’on peut dire. 

Mais le même P. de Sinéty fut un religieux parfait et apostolique parce que, ajoutait-il, si le catholicisme a des difficultés, il explique l’essentiel, tandis que les autres doctrines aboutissent à l’absurde.


IX – Deux objections 

     Il nous reste maintenant, pour que notre exposé soit probant, à répondre à deux objections possibles, qui entravent certains esprits et qu’on nous a souvent présentées : 


1) — « Votre synthèse est cohérente, qu’il s’agisse des éléments de chaque dogme, ou de l’ensemble des dogmes en bloc. Mais elle reste une hypothèse, sans plus, car rien ne prouve qu’une autre synthèse doctrinale passée, présente ou simplement future, n’explique pas l’univers aussi bien, et même mieux. » Cette objection nous semble assez faible, et voici pourquoi. D’abord parce qu’elle repose sur une fausse conception de la vérification, ensuite parce qu’elle implique un faux présupposé concernant la possibilité d’une autre explication de l’univers. Expliquons-nous. 

Que peut-être la vérification en matière de métaphysique rationnelle ? Elle consiste à rechercher les causes ou les principes constitutifs du connu. Elle n’aboutit pas à nous faire voir ces éléments, mais à les faire conclure ou concevoir, comme raisons d’être. Exemple : l’analyse du changement nous conduit aux notions de puissance, de matière prime. Je pose celles-ci pour comprendre le donné. C’est tout. Analogiquement ici, je ne vais pas faire voir le Christ glorieux ou la sainte Vierge à mon auditeur, mais je confronte l’explication catholique (ensemble de concepts et de jugements) avec le donné (la vie, le mal, etc.) et je constate qu’elle rend raison de celui-ci d’une façon privilégiée. C’est tout ce qu’on peut présentement me demander, étant donné la méthode que j’ai adoptée. 

     Ensuite, je nie qu’on puisse envisager la possibilité d’un autre système du monde, préférable au catholicisme. Dans les sciences expérimentales, il peut y avoir une pluralité de théories et d’hypothèses qui se complètent ou se remplacent les unes les autres, puisque chacune n’explique qu’un aspect plus ou moins étendu du réel, mais une doctrine qui rendrait compte de tout le réel ne serait pas dans le même cas. A notre avis, il ne peut y avoir plusieurs systèmes qui interprètent correctement toutes les apparences. 

La pluralité des systèmes tient à ce que chacun interprète correctement une collection d’apparences, mais échoue à rendre compte des autres [27]. Or, Chesterton, dans Orthodoxie [28], a bien montré que le catholicisme, sans être pour cela un syncrétisme ni une identification des contradictoires comme l’hégélianisme, sauvegarde les aspects les plus divers du monde religieux : la transcendance et l’immanence de Dieu, la croix et la joie, la paix et la guerre, la science et l’ignorance, l’amour humain et le célibat, etc. 


2) — « Votre explication n’en est pas une, étant donné qu’elle relève d’une mentalité prélogique, ou, du moins, de type mythique, au sens le plus général du terme » (ainsi tous les rationalistes). Nous ne discuterons pas ici, faute de temps, la notion de « prélogisme » dont maint ethnographe et psychologue a fait justice [29]

Pour le reproche plus général de mythisme, contentons-nous d’un mot de réponse : loin d’être un argument nouveau, cette objection n’est, en fait, qu’une traduction ou une application du préjugé rationaliste général, critiqué dans la première partie de la note. Autrement dit : pour un rationaliste, tout récit de type historique, c’est-à-dire mettant en jeu des personnages déterminés, et visant à expliquer un état de fait, est forcément un mythe au sens péjoratif. On tourne ici dans un cercle vicieux… 



Conclusion 

     Comme nous le disions au début, il n’y a, en fait, que deux attitudes fondamentales possibles : le rationalisme et le catholicisme. Toute position de compromis est vouée à la disparition. Renan avouait : « Le catholicisme est la plus caractérisée et la plus religieuse des religions. » Le protestantisme actuel est pris entre les restes du libéralisme du 19e siècle, laïcisation destructive de toute idée vraiment religieuse, moralisme naturel à vocabulaire évangélique ; et le retour aux sources de la réforme (E. Barth, etc.). 

Or, Barth lui-même a déclaré un jour que si on lui montrait que seul le catholicisme est capable de sauver le surnaturel, il se ferait, séance tenante, catholique. Quant au modernisme catholique, qu’il s’agisse de celui que Pie X condamna si vigoureusement ou de celui qui refleurit de nos jours, à coups d’hyper-évolutionisme, de néo-hégélianisme, de semi-marxisme, de radicalisme biblique, c’est un produit de décomposition qui pue effroyablement et qui dégoûte les incroyants au lieu de les convertir, car ceux-ci, surtout en notre âge apocalyptique, sont à la recherche d’une synthèse souple et rigoureuse à la fois et non d’un magma d’hypothèses pseudo-scientifiques et infra-philosophiques. 

Nous pourrions, sur ce point, multiplier les témoignages personnels (citations de revues rationalistes, extraits de presse, récits de conversations, etc.). A l’incroyant honnête de réfléchir. On verra à la suite deux appendices. Le premier est constitué par de nombreux aveux d’adversaires ou de convertis concernant la richesse explicative du catholicisme. Le second envisage de près un problème qui intéresse beaucoup de gens et qu’on nous pose souvent, celui des doutes, du doute en général, et de son rôle dans la foi. 



* Appendices I

 – Quelques témoignages intéressants 

     Pour un exposé systématique, on pourra lire Lumière et Vie, d’Henri de Tourville et, mieux encore, l’excellent exposé didactique de l’abbé Picard, Précis de la doctrine catholique exposé selon la méthode de l’abbé de Tourville. Au fond, ces idées sont courantes chez les auteurs catholiques, et cette argumentation est, dans son fond, très traditionnelle : c’est elle qu’esquisse Bossuet lorsqu’il déclare excellemment : « Les absurdités où ils tombent en niant la religion deviennent plus insoutenables que les vérités dont la hauteur les étonne ; et pour ne vouloir pas croire des mystères incompréhensibles, ils suivent l’une après l’autre d’incompréhensibles erreurs"[30]. » Et un théologien très strict, caractérisant récemment l’attitude du célèbre cardinal Billot, écrit : « Il croit plutôt que le simple exposé de la théologie a toujours été la meilleure défense qu’on puisse en faire, et en la tournant ou [en] la réduisant trop à l’apologétique, on risque peut-être de l’affaiblir, de l’énerver, et finalement de la diminuer [31]. » Dans le même esprit, un théologien dominicain, d’esprit très ouvert, nous disait un jour : « La meilleure des apologétiques, ce sont nos dogmes eux-mêmes. » Au fond, par un détour inattendu, on retrouve une idée chère à Spinoza, à savoir que la vérité est à elle-même sa propre justification, que la lumière s’éclaire elle-même et n’a pas besoin d’être éclairée [32]


     Nous allons maintenant citer des textes particulièrement frappants et suggestifs, émanant d’auteurs incroyants, mais plus ou moins attirés par le catholicisme, et qui appuieront nos dires. A tout seigneur, tout honneur. Commençons par un des adversaires les plus connus et les plus ironiques de la religion, Anatole France. Ce texte étonnera et édifiera peut-être quelques lecteurs : C’est la force et la beauté des religions d’enseigner à l’homme sa raison d’être et ses fins dernières. Quand on a repoussé les dogmes,… il ne reste plus aucun moyen de savoir pourquoi on est sur ce monde et ce qu’on est venu y faire. Le mystère de la destinée nous enveloppe tout entier dans ses puissants arcanes, et il faut vraiment ne penser à rien pour ne pas ressentir cruellement la tragique absurdité de vivre. C’est là, c’est dans l’absolue ignorance de notre raison d’être qu’est la racine de notre tristesse et de nos dégoûts. Le mal physique et le mal moral, la misère de l’âme et des sens, le bonheur des méchants, l’humiliation du juste, tout cela serait encore supportable si l’on en concevait l’ordre et l’économie, et si l’on y devinait une providence. Le croyant se réjouit de ses ulcères, il a pour agréables les injustices et les violences de ses ennemis ; ses fautes mêmes et ses crimes ne lui ôtent pas l’es­pérance. Mais dans un monde où toute illumination de la foi est éteinte, le mal et la douleur perdent jusqu’à leur signification, et n’apparaissent plus que comme des plaisanteries odieuses et des farces sinistres [33]. Un incroyant du 19e siècle, Ernest Bersot, déclare de même, dans un recueil d’études variées dont nous ne retrouvons pas le titre exact : Si la religion satisfait l’esprit par la certitude qu’elle lui apporte, elle n’oublie pas que cet esprit est avide d’infini, et elle se garde de le contenter par quelque chose de médiocre. Ainsi le catholicisme offre une réponse à tous les problèmes, mais cette réponse même nous confond. Les mystères ont une obscurité terrible. Le péché originel et la grâce pèsent sur nous comme la fatalité antique (?) ; le jugement dernier et la résurrection emportent l’imagination hors de toutes les réalités (immédiates) ; le paradis, le purgatoire et l’enfer ajoutent à notre monde des mondes nouveaux, immenses, pleins de supplices et de ravissements, devant lesquels nos plaisirs et nos douleurs terrestres s’évanouissent. Le catholicisme donc, quoique, par la précision de ses doctrines, il semble fermer l’infini, le catholicisme ne fait pas cela : il arrête la curiosité vague de l’esprit, mais il la remplace par une autre : la curiosité de voir les choses merveilleuses qu’il affirme… 


     On s’étonne de ce que les fidèles d’une religion en acceptent tout. C’est qu’une religion est un tout : elle a des réponses pour chaque question, des règles pour chaque action, elle a une histoire, un culte, un ordre enfin qui donne l’idée du monde. Aussi cet ordre agit sur nous moins par l’effet de telle ou telle partie que par l’ensemble. Dès que vous entrez, il se saisit de vous. Considérez par exemple le catholicisme à ce point de vue : quel ordre et quelle grandeur !… On sent cela partout où il y a une église catholique. Mais au centre, à Rome, ce sentiment vous remplit : on se dit que c’est bien là un monde, et que, s’il venait à disparaître, il se ferait un vide dans le ciel… [34]. Déjà, Jouffroy, philosophe incroyant du 19e siècle, n’hésitait pas à faire devant les beaux esprits l’éloge du catéchisme catholique : « Lisez ce petit livre. Vous y trouverez une solution de toutes les questions que j’ai posées, de toutes sans exception… Voilà ce que j’appelle une grande religion… [35]. » 

Prenons maintenant des auteurs plus récents. Un jeune critique littéraire, d’inspiration résolument antichrétienne et nietzschéenne, Thierry Maulnier, caractérise ainsi le catholicisme : Avec une facilité formidable, le christianisme peuple d’un seul coup la scène, emplit tous les vides et les intervalles du monde, fixe de haut en bas la hiérarchie des actes, anime tous les néants de présences, de réponses et d’échos. Il compense la passion par la prière, l’angoisse par le commandement, et le commandement par le mysticisme. Il ruine, par la grâce, le monopole de la fatalité. Il utilise le sacrifice, répare les fautes, reverse de l’un sur l’autre la supplication et le péché ; il annule ( ?) la vie par la vie éternelle, le vice par la pénitence, la vertu par la sainteté ; il prête aux âmes, selon leurs forces, les secours inégaux des rites et des ferveurs, du cortège et de la méditation ; il associe l’humilité et l’extase, il a sa pompe et sa charité ; il tient à la disposition de tous, héros et esclaves, rois et peuples, la troupe armée, justicière et secourable de ses archanges, de ses ascètes, et de ses confesseurs. Aucun acte, ni dans le bien, ni dans le mal, qui ne soit arraché à son innocence, approuvé ou réprouvé,… gros d’une ascendance de félicité ou de supplice. Jamais tant de forces diverses n’ont guidé, modéré, infléchi le cours du sort humain, jamais le monde n’a été aussi plein… Les mystères même le remplissent, puisqu’étant divins, ils créent, non pas l’incertitude, mais une ferveur plus confiante que la raison. Les seuls mystères chrétiens sont, du reste, dans l’ordre de l’intelligence ; il n’en garde pas pour l’action, il n’en garde pas pour la vie : tout y est certain, tout y est stable, tout y a sa raison d’être, son sens, son prix, tout y est qualifié, compensé ou puni [36]. 

Aldous Huxley, lui non plus, n’est pas un Père ou un docteur de l’Église (il s’en faut de beaucoup…). Cependant, dans son œuvre, on peut mesurer facilement le chemin parcouru, depuis ses premiers ouvrages, lorsqu’il nous dit : La vieille charpente catholique savait merveilleusement embrasser toutes choses. Elle faisait une place à la raison et à l’émotion, à l’intuition et à l’imagination. Les forces disruptives du sexe étaient douées d’une signification cosmique et canalisées… à l’intérieur du système… La vie recevait un sens, une signification surnaturelle. Sens et signification à l’intérieur desquels il était possible à l’individu de voir toutes ses actions sous leurs proportions exactes. Grâce au rituel et aux cérémonies répétées, à des images et à des symboles innombrables, l’esprit de l’homme naturellement erratique et discontinu, était obligé à tout moment de se souvenir de la signification surnaturelle de la vie, et, s’en souvenant, de façonner ses pensées en conséquences [37]

Et plus loin : Le développement considérable et récent du catholicisme en des pays jusqu’alors en plus grande partie protestants, tels que l’Angleterre, l’Allemagne et la Hollande, surprend et alarme certains observateurs… Le catholicisme est probablement la plus réaliste de toutes les religions occidentales. Sa pratique est fon­dée sur une connaissance profonde de la nature humaine dans toutes ses variétés et ses nuances [38]. Michel Alexandre, professeur de philosophie à Paris, en Lettres supérieures, et rationaliste lui-même, soupirait parfois : « La chance des catholiques est excessive ! », et Simone Weil disait : « C’est tellement beau que ça doit être vrai. » Effectivement, cette dernière remarque pourrait être justifiée par ce que nous dit la métaphysique réaliste sur les « transcendantaux » (l’unité, la vérité, la bonté, la beauté) et leur parenté, en tant qu’ils sont des modalités de l’être. Nous pourrions citer des déclarations analogues d’autres auteurs, tel M. Carré, doyen de la Faculté des Lettres de Poitiers, dont la pensée est pourtant dans la ligne du 18e siècle. 

Un intellectuel fusillé par les Allemands, et qui a donné son nom à la rue où se trouve à Toulouse la Faculté des Lettres, israélite incroyant, disait de même, peu avant sa mort : « Le catholicisme, c’est solide [39]. » Pour prendre un nom bien connu, citons un écrivain dont l’œuvre est fort répandue actuellement, et qui vient, lui, de l’extrême-gauche révolutionnaire, Arthur Koestler : A un congrès d’écrivains communistes, après des heures de discours sur le meilleur des mondes en construction, André Malraux, alors communiste, demanda avec impatience : « Et l’homme qui est écrasé par un train ? » Il rencontra une stupeur générale et n’insista pas. Mais il y a en chacun d’entre nous une voix qui insiste : être tué sur une barricade ou mourir martyr de la science procure quelques compensations. Mais l’homme qui est écrasé par un train ou l’enfant qui se noie ? L’homme de l’époque gothique avait une réponse à cette question. Ce qui était en apparence un accident, s’intégrait dans un dessein supérieur. Le sort n’était pas aveugle. Les tempêtes, les volcans, les déluges, tout obéissait à un mystérieux dessein. La seule réponse que put obtenir Malraux, après un pénible silence, ce fut : « Dans un système de transports parfaitement rationalisé, il n’y aura pas d’accidents… [40]. » De même, en une terrible crise de conscience, le héros de la croisade sans croix se demande : « Pourquoi ne me dit-on pas ce qu’il faut faire ? Il fut un temps où les gens imploraient un signe, et une Vierge de cire leur souriait ; et il n’était pas de question sans réponse… [41]. » 

Et vers la fin, le héros constate mélancoliquement : « Il n’y avait personne pour lui dire s’il devait réussir ou échouer, et aucune échelle où mesurer la valeur de ses actes [42]. » Nous pourrions multiplier encore longtemps les références d’auteurs incroyants ou convertis, et citer notamment parmi ces derniers un remarquable homme d’État chinois, ministre et diplomate, qui finit par devenir moine bénédictin, dom Lou-Tsen-Tsiang [43]

Nous pourrions citer Gilbert Keith Chesterton, l’illustre écrivain anglais, en presque toutes ses œuvres, Paul Claudel, converti aussi, sans parler d’un grand méconnu, Louis Veuillot, venu lui aussi de l’incroyance totale. Indiquons simplement en passant l’intéressant article de P. Vincent sur Le récit de la chute dans la Genèse, où la valeur transcendante et explicative du texte biblique se trouve admirablement mise en valeur [44]. Si on nous demande pourquoi les incroyants, auteurs des déclarations citées dans cet appendice, ne se convertissent pas effectivement (du moins certains d’entre eux), c’est ici le lieu de rappeler une fois de plus que la foi n’est pas le résultat d’un mécanisme, qu’elle est une option libre quoique raisonnable, et que, quelle que soit la richesse et la force de séduction du catholicisme bien compris, il reste à vouloir se décider à croire, à vouloir persévérer. Ce dernier point va maintenant être l’objet du second et dernier appendice.



 II – Rôle du doute en matière religieuse 

     Nous commencerons par quelques remarques sur le rôle du doute dans l’activité intellectuelle en général. C’est après seulement que nous aborderons son application à la foi. Tout d’abord, est-il besoin de montrer que le doute absolu et universel des sceptiques, qu’il se manifeste comme une négation pure et simple ou seulement comme une suspension illimitée du jugement, est une position indéfendable ? Platon et Aristote l’ont montré surabondamment, et nous avons esquissé une critique détaillée d’une telle position dans notre cours de philosophie (Critique de la connaissance). Moins radical que celui des sceptiques grecs, en ce sens qu’il veut déboucher sur du positif et du définitif, le doute de Descartes n’en est pas moins réel et universel (au moins sur le plan scientifique et philosophique ; pour la religion, voir plus loin). Un préjugé malheureusement très répandu de nos jours fait du doute universel la condition nécessaire de toute pensée vraiment critique et raisonnable. Pourtant, c’est bien à tort. En effet, cette manière d’opérer a été spontanément abandonnée par les successeurs les plus « modernes » et les plus « critiques » de Descartes. C’est Leibniz, par exemple, qui écrit : « Quand il s’agit de rendre compte des choses, le doute n’y fait rien… que pour surmonter le doute, on examine, j’y consens. Mais que pour examiner, il faille commencer par douter, c’est ce que je nie. Le doute n’y fait rien. » En effet, examen signifie réflexion méthodique, attentive, mais n’implique aucunement un rejet réel, fut-il momentané, de ce qu’on pense, ni une suspicion préalable contre toute adhésion quelle qu’elle soit. On trouvera la même idée chez les autres grands cartésiens, qui repoussent également le doute méthodique (Malebranche, Spinoza). 

Kant lui-même, si important aux yeux de certains modernes, ne part pas du doute, mais de la science considérée comme une donnée posée d’emblée comme valable. Bien qu’il aboutisse à une erreur gravissime (relativisme), le fait n’est pas moins remarquable. On trouvera la même attitude, sous des formes variables, à l’époque moderne : Bergson, Hégel, Marx, Heidegger, tous partent d’une donnée fondamentale considérée comme certaine. Mais il y a des objections à chaque jugement, dira-t-on ? Soit, et dans la mesure du possible (loisirs, capacités intellectuelles, culture, fonctions sociales), il faut les examiner. Pourtant, il ne faut pas oublier que nos adhésions, fussent-elles le résultat de jugements implicites et condensés en quelque sorte, peuvent comporter plus de fermeté que l’énoncé conscient et discursif des motifs ne le donnerait à penser à un observateur superficiel [45]

C’est pourquoi Newman disait clairement, et avec beaucoup de bon sens : « Dix mille difficultés ne font pas un doute… Difficulté et doute sont sans rapport », entendant par là que des « nœuds » dialectiques ne sont pas forcément de nature à supprimer une adhésion fondamentale, en fait ou en droit. Chose curieuse, c’est J.-J. Rousseau qui vient ici à la rescousse : Je ne suis pas de ceux qui rejettent une vérité claire ou suffisamment prouvée pour les difficultés qui l’accompagnent, et qu’on ne saurait lever. Mais les objections ? Donnez-moi un système où il n’y en ait pas. Pourvu que mes preuves directes soient bien établies, les difficultés ne doivent pas m’arrêter [46]. 

Leibniz disait déjà : C’est une autre question si nous sommes toujours obligés d’examiner les objections qu’on peut nous faire, et de conserver quelque doute sur notre sentiment… jusqu’à ce qu’on ait fait cet examen. J’oserai dire que non, car autrement on ne viendrait jamais à la certitude, et notre conclusion serait toujours provisionnelle [c’est-à-dire « provisoire »] [47]. Quittons maintenant ces généralités indispensables, mais insuffisantes. Abordons le plan de la connaissance religieuse comme telle. Descartes acceptait très sincèrement sa foi, ceci n’est plus contesté sérieusement aujourd’hui. Il exceptait de son doute les questions religieuses [48]. Mais la logique interne de son attitude initiale risquait d’aller en sens inverse. 

Les philosophes du 18e siècle firent de sa méthode un examen hargneux et négatif de la religion, et au 19e siècle, un théologien allemand de souche catholique, Hermès, professa que le chrétien doit douter de l’objet de sa foi jusqu’à ce qu’il arrive à une certitude rationnellement démontrée. Cette attitude, que beaucoup de fidèles, étudiants notamment, croient judicieuse et légitime, fut condamnée, d’abord par Grégoire XVI en 1835, puis, derechef, par Pie IX et par le concile du Vatican. Le serment antimoderniste de Pie X renouvelle cette condamnation sous une forme à peine différente à propos du savant catholique. 

Justifions cette manière de voir. Remarquons tout d’abord qu’elle ne concerne pas l’incroyant en quête de la vérité : qu’il doute, c’est concevable et normal jusqu’à ce qu’il arrive à bon port. Il s’agit de quiconque est déjà catholique par le baptême, l’éducation ou l’adhésion volontaire et délibérée. Remarquons ensuite que cette condamnation ne vise aucunement le désir de [nous] instruire et de renforcer intellectuellement nos croyances. Elle concerne simplement le mythe de la « table rase » au début de la recherche religieuse. Montrons donc, pour le moment, le bien-fondé de ces décisions de l’Église. 


1) — La théorie hermésienne est rationaliste, elle fait fi de la valeur et de la fonction proprement religieuse de la foi. Rationaliste, elle l’est en voulant fonder à proprement parler la foi sur la raison, donnant ainsi aux motifs de crédibilité un rôle disproportionné et exorbitant, leur enlevant leur rôle de simple « cause dispositive » pour en faire le motif souverain de la foi, alors que ce motif, c’est l’autorité de Dieu lui-même se révélant, saisie dans cette lumière infuse qu’est la foi surnaturelle. Rationaliste, elle l’est encore en dispensant le fidèle de la foi jusqu’à cette démonstration apologétique méthodique. 

Même ce dernier point est radicalement inacceptable, car, comme le dit saint Paul, « sans la foi il est impossible de plaire à Dieu » (répétons-le, il n’est pas question de l’incroyant de bonne foi : c’est un autre problème). Or, douter réellement de la Révélation, fût-ce à titre provisoire, c’est rester sans foi, ne fût-ce que quelque temps. Que deviendra alors, durant ce temps, la prière, la pratique des sacrements, l’union à Dieu ? Et si l’on meurt subitement ? Si l’on rencontre des tentations morales graves ? Ou une possibilité de convertir autrui ? Du reste, bien avant Hermès, l’Église avait envisagé le problème et avait condamné une telle méthode à l’avance : la question est envisagée par saint Thomas dès le 13e siècle. Grégoire XI écrit : Dubius in fide, id est infidelis. De même Clément V, etc. Comme le faisait remarquer au 19e siècle le théologien allemand Scheeben, la position hermésienne élimine totalement la valeur spécifiquement religieuse de la foi. 


2) — Du reste, cette méthode est, en fait, impraticable. Hermès, pour accomplir à fond cette vérification censée adéquate, passa vingt-trois ans de sa vie à étudier jour et nuit et mourut alors qu’il pensait arriver au résultat. Peut-on penser sérieusement que Dieu conçoive ainsi la voie du salut pour le genre humain ? 


3) — Au surplus, ce souci excessif de raisonnement et d’analyse dubitative se greffe aisément sur des tendances mentales morbides. Déjà d’anciens scolastiques, comme Dominique Soto, notaient que certaines gens ne peuvent se tenir à une adhésion et à une fidélité doctrinale ferme, « faute de sang ». Cette expression, scientifiquement hasardeuse, traduit une profonde vérité. Un auteur protestant, Prouvel, a souligné la coexistence de fléchissements mentaux avec la marotte dubitative et hypercritique en matière religieuse et métaphysique. Nous rencontrons des observations de ce genre parfois fort précises, chez des incroyants comme Delacroix, les docteurs Claude et Borel, etc., sans parler d’apologistes comme Balmes et de convertis comme Chesterton. Saint Augustin disait déjà : Fides (est) sanitas mentis. Nous y reviendrons plus loin, à propos des causes des difficultés en matière de foi. Concluons pour le moment au bien-fondé des condamnations portées par Rome contre la position hermésienne du problème pour les croyants. Nous allons maintenant examiner la nature et les causes des doutes dans la foi, et indiquer l’attitude orthodoxe à garder en pareille conjoncture. 


Nature des doutes 

     Il ne faut d’abord pas confondre doutes indélibérés ou involontaires, et doutes délibérés et acceptés. Il faut appliquer tout simplement ici ce que dit la théologie morale en général sur la tentation et le consentement. Un théologien dominicain, le père Chenu, fait remarquer que plusieurs, bien disposés et fidèles, disent parfois : « Qui sait si tout cela est vrai… On n’est pas allé y voir, etc. ». De telles réflexions peuvent sans doute venir d’une réelle faiblesse de la foi, privée d’une vie intérieure profonde et réduite à une routine sociologique, mais elles peuvent plus simplement exprimer en termes naïfs et maladroits l’obscurité et l’inévidence de la foi et du surnaturel, sans constituer pour autant des fautes morales véritables. En outre, des doutes de foi peuvent voltiger en quelque sorte sur le plan de la conscience, comme des mouches ou des moustiques, être connus, saisis plus ou moins distinctement, sans être l’objet d’une adhésion, d’un consentement véritable. Le fait a été fort sagement constaté et analysé par un vieux sorbonniste du 17e siècle, Nicolas Ysambert, aussi bien que par de fins psychologues comme le cardinal Newman. 


Cause des doutes. 

     (Surtout au cas où ceux-ci prennent une forte intensité et semblent perturber notre équilibre spirituel). Les causes sont multiples, et nous ne prétendons donner ici que des principes de solution, non une explication détaillée et minutieuse de chaque cas. 

Mentionnons une excessive curiosité intellectuelle, même en matière religieuse, qui veut aboutir partout à une clarté géométrique au détriment des inévitables « clairs-obscurs » surnaturels. Et surtout, un orgueil intellectuel plus ou moins facile à discerner suivant les hommes et les périodes de leur vie : le donné révélé se présente à nous comme du dehors, il est à la fois lumière et joug. Aussi sommes-nous facilement portés à construire à notre manière notre « système du monde », plutôt qu’à accepter ce bloc d’apparence étrangère. 

N’insistons pas sur les tentations charnelles, les difficultés sexuelles, qui nous proposent des plaisirs immédiatement accessibles et inconciliables avec l’idéal évangélique. D’où une incroyable source de haine pour beaucoup de gens contre le christianisme et l’Église, ces gêneurs… Disons même carrément, à la suite de l’Écriture elle-même et des Pères de l’Église les plus experts en fait de spiritualité, que nous avons d’autres ennemis que nos semblables méchants et tentateurs. La croyance en l’existence et l’action de forces spirituelles mauvaises, diaboliques, disons le mot, fait partie intégrante de l’univers chrétien, et les ricanements de quelques modernistes n’y changent absolument rien [49]

Saint Paul déclare que notre lutte n’est pas tant dirigée contre « la chair et le sang » que contre le monde invisible mauvais. Des mystiques, comme le Suisse saint Nicolas de Flue, le confirment en termes saisissants. Une oraison qui suit la messe y insiste. Et le pape Grégoire XVI déclare que le rationalisme moderne, en son principe, est satanique, puisqu’il réédite très fidèlement le non serviam de l’esprit mauvais. Dès lors, on comprend l’acharnement du Prince des ténèbres contre les meilleurs des fidèles, c’est-à-dire les saints. Nous verrons que ceux-ci, loin d’ignorer ce genre de tentation, y ont parfois été soumis plus que les autres. Rappelons enfin, car nous en avons déjà parlé, un facteur très humble, très terre à terre, mais hélas fort humain et répandu : les dispositions morbides et le « mentisme », c’est-à-dire la rumination indéfinie des arguments et des textes pour et contre, avec l’incapacité de s’arrêter et de conclure. Voici par exemple ce qu’écrit à ce sujet un psychologue, incroyant pourtant, Delacroix, qui enseigna longtemps en Sorbonne : Le doute devient pathologique, lorsque l’impossibilité de s’arrêter, de conclure, vient de l’impuissance du sujet, et lorsque les problèmes qu’il se pose sont l’œuvre d’un travail stérile de pensée, ne font qu’exprimer son agitation mentale. Le douteur traduit par son doute le sentiment d’incom­plétude qu’il éprouve, la diminution de sa réalité interne, l’abaissement de son niveau mental ; il doute des choses parce qu’il n’est plus lui-même et qu’il ne sait plus se les approprier. Il se lance dans un vaste travail qui accumule les associations d’idées, les interrogations, les recherches, parce qu’il est un agité, et qu’incapable d’action véritable, il est obligé de contrefaire ; et ce travail n’aboutit à rien, parce qu’il est incapable de coordonner, de synthétiser, d’arrêter [50]

On aurait tort de croire que seul, le simple fidèle peut pâtir du doute. Non seulement les théologiens (qui ne sont après tout que des hommes, pas forcément des saints, malgré leurs études spécialisées), mais les saints eux-mêmes ont passé en ce domaine par des épreuves parfois atroces, longues et intenses. Nous étudierons d’abord ce fait, puis nous en rechercherons l’explication et nous en tirerons la leçon pratique. 


1) — Le fait. Quiconque connaît un peu l’hagiographie catholique sait que des saints aussi éminents que saint François de Sales, saint Vincent de Paul, sainte Jeanne de Chantal, sainte Émilie de Rodat, souffrirent beaucoup sur ce plan. Sainte Thérèse de Lisieux elle-même (sans que l’on tombe dans les sottes déformations de sa pensée commises par M. Van der Meersch) connut de grosses épreuves à cet égard. Un de ses biographes, Angot des Rotours, écrit textuellement : « Elle éprouva vraiment aussi à fond que les esprits de notre époque, incroyants et “positifs”, cette impression d’irréel qui, à certaines heu­res, paraît irrésistible devant le suprasensible. » 


2) — Pourquoi ce fait ? Parce que Dieu tient bien à nous rappeler que la foi est une adhésion au surnaturel, qu’elle transcende le raisonnement humain et ne repose en dernière analyse que sur la parole de Dieu. Aussi celui-ci décape-t-il la foi de ceux qu’il aime particulièrement de ses appuis humains, pour la réduire à l’essentiel, à l’adhésion nue. Nous touchons là une cause nouvelle, et élevée, des difficultés en matière de foi, où il n’y a pas de faute de la part du sujet : l’épreuve est ascétique et purificatrice. En fait, malgré les apparences de doute, d’absurdité, de néant, elle rapproche l’homme de Dieu en profondeur. C’est la notion de « nuit » de l’esprit chez les mystiques. Et ceci nous dicte l’attitude à tenir en pareille occurrence : la fidélité à la parole surnaturelle de Dieu « per fas et nefas », en attendant le retour à la lumière. Comme nous le faisait remarquer un jour, avec beaucoup de pénétration, un éminent théologien assomptionniste, les saints ont pu souffrir de beaucoup de tentations contre la foi. 

Mais ils ont tenu, ils ont persévéré, eux qui étaient les meilleurs des hommes à tout point de vue. Les « autres » sont partis ; les « autres », c’est-à-dire tous ceux qui, malgré parfois des qualités réelles de zèle ou d’intelligence, manifestaient quelque grave défaut humain : égotisme, vanité, esprit de rébellion, mentalité rationaliste étroite, etc. Un Renan, un Loisy, un Turmel, et tant d’autres que personne ne songera à canoniser. Nous demandons au lecteur de bonne foi de méditer sur le sens et la portée de cette différence d’attitude. Et nous lui dirons pour finir : C’est pour vous que nous avons composé cette note, dans des conditions de travail fort ingrates, en prenant sur notre temps malgré mille difficultés. La vie d’étude est riche, passionnante et périlleuse. La plupart des objections contre le catholicisme résultent d’ignorances matérielles et de piteux contre-sens (même chez des gens très haut placés parfois dans le monde intellectuel…). Étudiez donc, catholiques, votre religion, au lieu de perdre votre vie à des futilités, apprenez à mieux la connaître et à l’aimer sans cesse plus profondément pour tout ce qu’elle vous apporte, et même pour ce qu’elle vous coûte. 

N’écoutez pas ceux qui l’édulcorent ou la déforment, car, s’ils portent parfois soutane ou robe monastique, ils vous écartent du catholicisme authentique. Étudiez, incroyants, notre religion. Cherchez, non pas d’une raison froide et figée, mais, comme le disait Platon déjà, avec toute votre âme. Que le chrétien, en cas de difficultés doctrinales, ne soumette pas sa foi au va-et-vient des impressions dialectiques. Cherchez l’accord entre votre culture profane et votre vie intérieure, sans jamais oublier cependant la transcendance originelle de celle-ci, et sa première place dans la hiérarchie des valeurs. Ceci, même si le tunnel est long. Au bout est la lumière. Songez que c’est un des plus grands génies philosophiques de tous les temps, saint Thomas d’Aquin, qui est l’auteur des lignes suivantes : Les choses qui sont contraires à la foi, soit que l’homme les trouve en lui, soit qu’il les subisse par une violence extérieure, augmentent d’autant plus le mérite de la foi que la volonté se montre plus prompte et plus ferme dans sa croyance. C’est pourquoi les martyrs et les savants (« sapientes », les « intellectuels », si l’on veut ici) ont eu une foi plus méritoire, les uns pour l’avoir conservée malgré les persécutions, les autres pour ne s’être pas laissés ébranler par les raisonnements des philosophes et des hérétiques [51]


Index des ouvrages cités 


Karl Adam, Le vrai Visage du catholicisme, Paris, Gallimard, 1947. Ernest Bersot, Études et Pensées, Paris, 1882. Cardinal Billot, De Personali et originali peccato, Paris, 1910. Bossuet, Oraison funèbre de la princesse Palatine. R. P. Guy de Broglie, Les Signes de crédibilité de la vérité révélée, Paris, Fayard, 1964. Mgr Bros, La Révélation chrétienne, Paris, Spes, 1943. R. P. Brückberger O.P., L’Histoire de Jésus, Grasset, 1968. Albert Camus, La Peste, Paris, Gallimard, 1947 — L’Homme révolté, N.R.F. Gilbert Keith Chesterton, Orthodoxie, Paris, 1910. Paul Claudel, Le Soulier de satin, Paris, 1929 — Tu quis es ?, Paris, Amiot-Dumont, 1947. Roland Dalbiez, Vie spirituelle, 1928. Georges Dumas, Nouveau Traité de psychologie, Paris, 1923. Anatole France, Le Jardin d’Épicure, Paris, Calmann-Lévy, 1895. Julien Green, Le Visionnaire, Paris, 1934. R. P. Guérard des Lauriers, O.P., Dimensions de la foi, Paris, Cerf, 1952 (2 vol.). Marcel Hamon, La Nuit de midi, Paris, La Nouvelle Édition, 1946. Aldous Huxley, Le plus sot Animal, Paris, La Jeune Parque, 1946. Louis Jugnet, Cours de métaphysique [édité dans les Cahiers de l’Association des Amis de Louis Jugnet I], Contre Kant [inédit]. Arthur Koestler, Le Yogi et le commissaire, Paris, Calmann-Lévy, 1945 — Croisade sans croix, Paris, Calmann-Lévy, 1946. Jean Laporte, Le Rationalisme chez Descartes, Paris, P.U.F., 1945. R.P. Henri Le Floch, Le Cardinal Billot, Paris, Beauchesne , 1947. Gotfried Wilhelm Leibniz, Discours de la conformité de la foi avec la raison, Janet. Olivier Leroy, La Raison primitive, Paris, Geuthner, 1927. Jacques Maritain, Bienheureux les Persécutés in Cheval de Troie, année 1947, nº 2/3. Roger Martin du Gard, Jean Barois, Paris, Gallimard, 1913. Thierry Maulnier, Nietzsche, Paris, 1943. Cardinal John-Henry Newman, Grammaire de l’assentiment, Paris, Bloud, 1907. R. P. Penido, O.P., La Conscience religieuse, Paris, 1937. Abbé Georges Picard, Précis de la doctrine catholique exposée suivant la méthode d’observation, d’après les notes de l’abbé H. de Tourville, Paris, Bloud et Gay, 1927. S.S. Pie XII, Encyclique Humani generis, 1950. Jacques Rivière, A la Trace de Dieu, Paris, Gallimard, 1925. Jean Rostand, Inquiétudes d’un biologiste, Paris, 1963. Louis Sullerot, Le Problème de la vie devant la raison et devant le catholicisme, Publiroc, 1928. Saint Thomas d’Aquin, Commentaire sur la métaphysique d’AristoteSomme théologique. Abbé Henri de Tourville, Lumière et vie, Paris, Bloud, 1924.





[1]Catholicisme, foi et problème religieux, Saint-Cénéré (Mayenne), éd. Saint-Michel, 1951, 40 p. + 6 p. d’addenda (14 x 18) ; 2e éd. (augmentée d’un avant-propos de l’auteur), 1970 ; 3e éd., Paris, Nouvelle Aurore, 1975, 100 p. (10,8 x 17) ; traduction espagnole (par Gustavo Daniel Corbi), Catolicismo, fe y problema religioso, Buenos Aires, Iction, 1982, 99 p. (11 x 19,5). 

[2]Nouvelles de Chrétienté nº 110, mars- avril 2008, p. 4. (DICI-Presse-Civiroma, 33 rue Galande, F – 75005 Paris.)

 [3] — Louis Jugnet est décédé le 12 février 1973. 

[4] — Albert Camus, La Peste, Paris, Gallimard, 1947, p. 49-50. 

[5] — Tous les mots ou passages en italique, y compris dans les citations, sont soulignés par l’auteur.

[6] — Karl Adam, Le Vrai visage du catholicisme, Paris, Grasset, 1951, p. 23.

[7] — Le principal ouvrage du cardinal Jean-Baptiste Franzelin, La Tradition, vient d’être publié pour la 1ère fois en français par les éditions du Courrier de Rome (2008). (NDLR.) 

[8] — Il s’agit du premier concile du Vatican (1869-1870). 

[9] — Voir cette bonne formule du logicien Georges Canguilhem (professeur en Sorbonne), à propos de tout point de départ intellectuel : « … Il faut une idée directrice, une intention de démonstration explicite ». 

[10] — Voir le commentaire de saint Thomas sur la Métaphysique d’Aristote, livre II, leçon I, Cathala Marietti, nº 281-282 : un bien beau texte. 

[11] — Voir notre Cours de Métaphysique, Contre Kant, ou notre Saint Thomas, Bordas, p. 152-168.

[12] — Voir le bel aveu de Diderot : « Nous avons foi en la raison. » Et Sullerot : « L’affirmation, il n’y a pas de surnaturel, au lieu de sortir de l’enquête, la domine et la dirige. Le principe qu’on donne comme un fruit de l’expérience est en réalité un principe antérieur à l’expérience, et sur lequel on n’admet aucune espèce de discussion ». Louis Sullerot, Le Problème de la vie devant la raison et devant le catholicisme, Publiroc, 1928.

[13] — Roger Martin du Gard, Jean Barois, Paris, Gallimard, 1913, p. 120. 

[14] — Roland Dalbiez, Vie spirituelle, novembre 1928, p. 78-79.

[15] — Abbé Henri de Tourville, Lumière et Vie, Paris, Bloud et Gay, 1924.

[16] — Sans nécessairement adopter toutes les vues de l’auteur, nous trouvons un excellent texte à ce propos dans l’ouvrage du père Guy de Broglie : Les Signes de crédibilité de la Vérité révélée, 1964, 2e partie, ch. 9, p. 53-57. Et le père Guérard des Lauriers, O.P. écrit : « La vérité divine présente une cohérence interne qui la fait être à elle-même le meilleur de ses instruments apologétiques. » (Dimensions de la Foi, éd. du Cerf, t. 1, p. 334.) On peut renvoyer aussi à un texte peu connu et très riche, à notre sens, de Jacques Maritain : Bienheureux les persécutés in Cheval de Troie, nº 23, p. 178-181, où il rattache la souffrance en apparence absurde à l’aspect « nocturne » et délaissé de Jésus en croix.

[17] — On trouvera chez Camus lui-même, d’excellentes formules dans L’Homme révolté, surtout p. 19-20 : « L’absurde en lui-même est contradiction. Il l’est dans son contenu puisqu’il exclut les jugements de valeur en voulant maintenir la vie, alors que vivre est en soi un jugement de valeur. Respirer, c’est juger… De ce simple point de vue, la position absurde, en acte, est inimaginable… Toute philosophie de la non-signification vit sur une contradiction du fait même qu’elle s’exprime. Elle donne par là un minimum de cohérence à l’incohérence, elle introduit de la conséquence dans ce qui, à l’en croire, n’a pas de suite… La seule attitude cohérente fondée sur la non-signification serait le silence, si le silence à son tour ne signifiait. » On voit le chemin parcouru depuis Le Mythe de Sisyphe.

[18] — René Charnay, « Sur l’évolutionnisme catholique », La Pensée catholique, nº 4, éd. du Cèdre. 

[19] — « Qui font un peu penser » : l’auteur a raison de souligner que cette comparaison reste déficiente, car le péché originel n’est pas une simple responsabilité collective, mais bien la transmission de « l’infection de nature ». Voir I-II, q. 84, a. 1, ad 2 et Concile de Trente, DS 1510-1515. (NDLR.) 

[20] — Nous regrettons amèrement que le chef-d’œuvre du très regretté cardinal Billot De personali et originali peccato, Prati. 1910, p. 141, 145, 150, 152, 159 et 168, soit soigneusement soustrait à toute réédition par les modernistes qui règnent sur la grande édition catholique. On peut ici citer une bonne formule de Romano Guardini à propos de la transmission du péché d’origine : « Il n’y a pas là d’injustice, contrairement à ce que pense l’individualisme… Le premier homme ne fut pas le numéro un d’une série de nombres, mais il fut l’ancêtre de notre race. Il portait cette race en lui. »

[21] — Voir là-dessus l’encyclique Humani Generis.

[22] — Jacques Rivière, A la Trace de Dieu, Paris, 1925, Gallimard, p. 42-44. 

[23] — Un très bon passage, ici, du livre par ailleurs parfois irritant du père Brückberger, O.P., L’Histoire de Jésus-Christ, Grasset, p. 455-456, à propos d’un tableau de Brueghel l’Ancien, « Le Portement de Croix ». Voir ce bel aveu de l’honnête incroyant qu’est Jean Rostand : « Moins on croit en Dieu, mieux on comprend qu’il y en ait qui y croient » (Inquiétudes d’un biologiste).

[24] — Marcel Hamon, La Nuit de midi, Paris, La Nouvelle Édition, 1946, p. 238. 

[25] — 2e Lettre à Arthur Fontaine, citée dans Tu es qui ?, Paul Claudel, Paris, Amiot-Dumont, 1947, p. 103.

[26] — « Information » dans le texte imprimé. (NDLR.) 

[27] — R.P. Penido, O.P., La Conscience religieuse, Paris, Téqui, 1937, p. 13, nº 12.

[28] — Gilbert Keith Chesterton, Orthodoxie, Paris, 1910.

 [29] — Citons par exemple le remarquable ouvrage d’Olivier Leroy, La Raison primitive, Paris, Geuthner, 1927. 

[30] — Oraison funèbre de la princesse Palatine, 1ère partie (sur les libertins). 

[31] — R. P. le Floch, Le Cardinal Billot, Paris, Beauchesne, 1947, p. 34. 

[32] — Cf. Mgr Bros, La Révélation chrétienne, Paris, Spes, 1943, p. 28.

[33] — Anatole France, Le Jardin d’Épicure, Paris, Calmann-Lévy, 1895, p. 66-67. 

[34] — Ernest Bersot, Études et pensées, Paris, 1882, p. 127-128. 

[35] — Tout le passage, assez long, serait à lire. 

[36] — Thierry Maulnier, Nietzsche, Paris, 1943, p. 81-82. [37] — Aldous Huxley, Le plus sot Animal, Paris, La jeune Parque, 1946, p. 122.

[38]Ibid., p. 160. N.B. La Hollande est en train de devenir un pays catholique : le glissement y est régulier, grâce au dynamisme admirable des catholiques hollandais. Pour l’Allemagne, citons un seul cas précis ; le diocèse de Munster comptait avant-guerre 700 000 catholiques ; il en compte maintenant près de 3 millions. (Écrit en 1948 ; note de l’éditeur). 

[39] — Propos rapporté par un étudiant de son réseau.

[40] — Arthur Koestler, Le Yogi et le commissaire, Paris, Calmann-Lévy, 1945, p. 175-176.

[41] — Arthur Koestler, Croisade sans croix, Paris, Calmann-Lévy, 1946, p. 206-207.

[42]Ibid., p. 241.

[43] — Dans Témoignages, de La Pierre-qui-Vire, août 1946, p. 347.

[44] — Dans Cité Nouvelle, 1943, p. 618-623. 

[45] — Voir cardinal John-Henri Newman, Grammaire de l’assentiment, trad. Thureau-Dangin, Bloud. 

[46] — Louis Jugnet ne donne pas sa source. Voir pour la première partie de la citation : J.J. Rousseau, Correspondance, in Œuvres complètes, t. 4, Paris, Armand-Aubrée, 1833, p. 94. Et pour la deuxième : Ibid., p. 99. 

[47] — Gottfried Wilhelm Leibniz, Discours de la conformité de la foi avec la raison, Œuvres, Janet, t. 11, p. 56. 

[48] — Voir pour faire justice des assertions contraires de quelques fantaisistes, R. Verneaux, La Sincérité critique chez Descartes, Archives de philosophie, 1943, t. 13, cah. 11, p. 44-46, et Jean Laporte, Le Rationalisme chez Descartes, Paris, Presses Universitaires, 1945. 

[49] — Songeons ici à Gide, qui déclare explicitement lutter contre la tentation de croire à la manière dont un chrétien sincère combat la tentation de mal faire ; de même, un personnage de Julien Green : « Contre (la foi chrétienne) j’étais prêt à lutter comme on lutte contre une tentation dégradante. Une force venue je ne sais d’où encourageait en moi cette volonté d’incroyance ». (Le Visionnaire). 

[50] — Voir Dumas, Nouveau Traité de psychologie, t. 5, p. 188. Voir de même les travaux d’auteurs comme Prouvel, Claude, Borel, Dr Bon, Janet, etc. 

[51] — II-II, q. 2, a. 10, ad 3.

Commentaires
* L'e-mail ne sera pas publié sur le site web.